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Une invitation à la lévitation dans le paysage de Kalø Vig

C’est au pied d’un paysage vallonné, dans le parc national de Mols Bjerge, sur une rive de Kalø Vig, une crique à l’extrémité nord de la Baie d’Aarhus , que se trouve Kalø Slotsruin, l’un des vestiges le mieux conservé du Danemark qui témoigne de la présence d’un ancien château royal, élevé par le roi Erik Menved au début du XIVe siècle.

Le château était relié au continent par une chaussée de 500 mètres de longueur. Celle-ci était renforcée par des remblais alors que de grands fossés étaient creusés autour des murs circulaires de la forteresse.  Je lis dans un article, « [en tout], quatre tours destinées à contrôler les rébellions des nobles et paysans locaux ont été édifiées par des paysans esclaves afin de mater leurs esprits rebelles. En 1320 le nouveau roi Christophe II a été forcé par la noblesse danoise dans une charte à le démolir, avec la plupart des forteresses du Jutland ». Cette ruine médiévale vieille de 700 ans, située dans la partie nord de la péninsule du Jutland, appelée aussi la Kalø Tower,  est donc très certainement la construction moyenâgeuse la plus ancienne et la plus emblématique du royaume danois.

La Kalø Slotsruin, un belvédère.

La tour et l’escalier en 3D

Construite sur un promontoire donnant sur la mer, la tour de briques de trois étages s’élevant au-dessus du sol et de deux étages creusés en profondeur, a été complètement “vidée” au cours du temps de sa structure interne, et il n’est resté qu’une seule petite ouverture permettant aux visiteurs d’apprécier l’intérieur du bâti. Aujourd’hui, nous disent les architectes, « le nouvel accès à la tour et la plateforme d’observation permettent au visiteur d’accéder à l’intérieur de la ruine, offrant ainsi de gros plans sur les couches historiques de la construction et, en capitalisant sur les ouvertures érodées existantes, [la plateforme] présente des vues sur le fascinant paysage environnant ; des vues sur trois types de paysages danois caractéristiques – la mer, la plage et le marais salant ». Un escalier en “zig-zag”, permet au visiteur d’entrer dans la “muraille” et en quelque sorte de pénétrer dans le passé, de grimper plus haut pour accéder aux ouvertures en façades et au balcon, tout en lui permettant à chaque station d’avoir un point de vue sur les magnifiques paysages entourant ce site historique. Le nouvel escalier, soutenu en quatre points, a été conçu de manière à pouvoir être démonté sans laisser aucune trace durable sur le bâti, et compte tenu de la nature délicate de la tour, le bâtiment a d’abord été scanné pour qu’enfin puisse être dessiné l’escalier en 3D.

Pour toucher les couches archéologiques de la Kalø Slotsruin

Kalø Slotsruin – Section de l’ouvrage

Pour les architectes, il fallait permettre au visiteur de « toucher » les couches archéologiques de la tour, et en même temps « laisser la présence » de la ruine, du vestige. Le projet développé par l’agence était aussi de permettre au visiteur de « léviter » dans le paysage, les marais, la mer, l’horizon, l’au-delà.  Le geste architectural, lui, est le résultat géométrique de cette connexion entre ouvertures et balcons. Le site devient un point de vue qui informe celui qui regarde sur la réalité du temps. Ce qui semble n’être qu’un simple escalier, a lié le paysage et l’archéologie.

Description de l’escalier imaginé par le sudio MAP pour la Kalø Slotsruin

L’escalier est une structure en acier, soutenu sur la ruine à seulement quatre points pour minimiser les dommages sur le monument historique. Les côtés et les dessous sont revêtus de bois de frêne, spécialement traités à chaud pour maximiser la durabilité jusqu’à 60 ans sans peinture. Les marches, les plateaux et la main courante sont en métal, peints en noir mat pour assurer une durabilité maximale, puisque le site est côtier et qu’il est donc sujet à des conditions météorologiques difficiles. Un scanner a permis d’enregistrer en  3D chaque brique du bâtiment, afin de réduire dans la réalisation de l’ouvrage les tolérances au minimum tout en permettant une conception qui « s’adapterait » au site. L’escalier a été construit en 7 grandes pièces en atelier, et monté dans la tour par grue de levage. Un chantier qui était particulièrement difficile puisque tout le site appartient au patrimoine culturel et qu’il est strictement protégée et donc étroitement surveillé.

Architectes : MAP Architects, Mast Studio / Année : 2016 / Manufacturiers : HSM Industri, Moelven

Le projet a été nominé pour le Prix Européen Mies van der Rohe 2017.

L’architecte David A. Garcia

À propos du studio MAP et de son fondateur David A. Garcia – Ce que l’on peut lire sur le site de l’agence d’architecture, c’est que « Le studio est une plate-forme architecturale expérimentale basée à Copenhague fondée par l’architecte David A. Garcia. [Que] le studio est actif à l’international, principalement engagé dans des projets dans des environnements difficiles ». Dans la présentation de l’agence, on lit encore : « Nos conceptions couvrent diverses échelles et sphères d’action, défiant souvent le statu quo par l’innovation et les pratiques artistiques tout en poursuivant une approche interdisciplinaire. Le travail collaboratif avec les ingénieurs, les communautés locales et la science, comme notre collaboration avec le département de la résilience de l’eau de l’UNESCO, ou la NASA, fait partie de chaque projet que nous entreprenons. Des plans directeurs dans les zones sujettes aux inondations, à la conception efficace dans les régions arctiques, de la désertification ou des infrastructures abandonnées, notre méthodologie vise à transformer les dangers en atouts à travers l’art et la science ». Mais le studio MAP est aussi un bureau d’étude qui organise un grand nombre de conférences et qui publie depuis 2009 le Manuel des possibilités architecturales, une publication qui vise à “fusionner” les domaines de la science et de la recherche d’une part, et la conception architecturale d’autre part. MAP se présente comme un A1 plié, avec seulement deux pages. Recherche et données sur une page, et projets architecturaux sur l’autre. « Chaque numéro traite d’un sujet unique, parfois abstrait, parfois concret, qui est mis à l’épreuve à travers la collecte de données et de recherches à partir de multiples perspectives ».

Le fondateur du studio MAP Architects, l’architecte et professeur agrégé David A. Garcia, est diplômé de la Bartlett School of Architecture. Il a travaillé chez Foster and Partners à Londres et a été associé chez Henning Larsen Architects à Copenhague ; où il a travaillé pendant neuf ans. Il est rédacteur en chef et éditeur de la publication internationale Manual of Architectural Possibilities , qui en est maintenant à son huitième numéro. Il a été nommé directeur de l’Institut d’architecture et de technologie à l’ Académie royale des arts du Danemark , à Copenhague, de 2014 à 2018, où il dirige également le cours de maîtrise de deux ans : Architecture et environnements extrêmes depuis 2014. Il donne des conférences et expose dans le monde entier et est membre invité du jury, tant au niveau national qu’international. Ces dernières années, David a exposé son travail à Pékin, New York, Chicago, Londres, Barcelone, Madrid, Oslo, Copenhague et Rotterdam. En 2007, il a reçu une prestigieuse bourse de 3 ans du Conseil des arts danois et en 2021, il a reçu le prix international de l’innovation pédagogique de l’Union internationale des architectes.

Photographies : David A. Garcia, Bjørn Pierri Enevoldsen

L'auteur : Xavier Guillon

Rédacteur en chef et en os et profiteur d’espaces, il aime l’urbain et le crie haut et fort. En secret, il rêve de nature et prend régulièrement les chemins vicinaux.

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