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Ébauche / encre, et aquarelle sur papier - Junseok MO 2017

Les respirations de l’artiste coréen Junseok MO

J’ai toujours pensé en regardant le travail de MO, qu’il existe une évidente complémentarité entre ses esquisses, ses modelages et ses sculptures en fil de cuivre, résultant de son questionnement ; tout s’accorde et tout s’imbrique ; l’un va vers l’autre jusqu’à l’évidence, la transparence ; ceci aussi parce que le tout est un composé de lignes, de vide et de superpositions, comme le résume l’artiste lui-même.

Mais cela n’exprime que la forme qui se distingue du fond. Lorsque Junseok MO exprime son travail, il dit : “Mon travail explore la coexistence avec les autres à travers la notion de communauté. Ainsi, je montre un village construit non seulement sans murs, mais aussi ouvert aux autres.” Et aussi : “Quand on rencontre l’autre, c’est la différence qui apparaît : le visage, l’origine, la pensée, le mode de vie. En vivant en France et même en Corée, je fais face à beaucoup de différences linguistiques et culturelles. Mon travail s’intéresse à cet écart créé par autrui.”

Abattre les murs pour créer des liens

Le jour où l’on se retrouve – 2016

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Surtout l’œuvre de MO est une métaphore ; les ensembles et les îlots immobiliers que le plasticien construit symbolisent la nature de l’immeuble, du quartier, de la ville qui réunit ou sépare les individus par “des murs concrets”. Il dit avoir très souvent partagé de petits espaces avec d’autres. D’abord, pendant son enfance lorsqu’il vivait dans une petite pièce avec sa famille ; puis lorsqu’il est devenu étudiant et qu’il a dû partager une chambre avec trois autres personnes ; et enfin pendant les deux années de son service militaire. Il le rappelle : “Par ces expériences de vie dans un espace communautaire sans intimité, le bâtiment est devenu, pour moi, un espace de communication. C’est ce que je démontre aussi lorsque j’emploie de simples fils de cuivre pliés afin de supprimer les murs qui sont des barrières entre l’intérieur et l’extérieur”. Mais les constructions de MO ne sont pas faites que de fils de cuivre ; le vitrail et la lumière ont leur importance. “Le vitrail qui est très présent dans mes constructions, est le lien qui existe avec autrui. De la même façon que le bâtiment est une métaphore de l’être humain, les vitraux aux couleurs variées sont des fenêtres entre ‘moi’ et ‘autrui’”. Enfin s’ajoute l’ombre et la lumière ; elles expriment la coexistence et transforment les perspectives. Avec l’ombre, une nouvelle image se dessine ; elle révèle ce qui auparavant restait caché. En bref, on ressent bien à la lecture du travail de MO qu’il ne cherche pas à effacer l’individu… Il y aurait plutôt à lire ici le ‘libre ensemble’, l’expression d’une ‘vie commune’ qui saurait s’exprimer dans le respect de l’individu. L’artiste le formule ainsi : “je voudrais dire que par la coexistence et le dépouillement, on dépasse plus aisément la limite du ‘moi’ ; j’espère que cette harmonie est remarquable dans mon travail”.

Le souvenir du verbe “entrer”

Notre mémoire – 2016

Et c’est peut-être ici qu’il faut revenir à la petite histoire de Junseok ; elle est d’une grande importance. L’enfance du plasticien s’est passée dans une petite ville de pêcheurs en Corée du Sud. Dans l’un de ses quartiers que l’on pourrait rencontrer sur tous les continents s’il n’y avait pas dans chacun d’eux quelque chose de plus, et plus encore de singulier. Ce qu’il y a de commun pourtant dans tous ces morceaux de villes, ce sont toutes ses constructions colorées qui s’emboitent les unes dans les autres que l’on rencontre en grimpant des escaliers, en passant d’une ruelle à l’autre. Junseok en connait tous les passages. Dans chaque monde qu’il découvre, il en pratique les rues qui gardent si bien les secrets et les intimités. Depuis quelques années, il vit à Paris. Il y poursuit son travail, sa quête sur la ville que l’on pourrait fouler (d’une simple manière) avec le verbe ‘entrer’ et qui surtout offrirait tous les possibles. Ce n’est pas qu’un simple travail de plasticien que Junseok réalise, il y ajoute l’architecture – eh oui, son père est architecte.

Et lorsque qu’on entre dans la ville…

MO précise qu’il y a plusieurs façons de comprendre la ville. On dessine d’abord l’esquisse de quelques constructions. Nous restons alors de simples observateurs. Puis la construction devient un volume qui ne nous laisse pas entrer encore. Puis, le temps de voir passer des habitants du quartier, de voir des portes s’ouvrir et se refermer, d’apercevoir d’autres temps derrière les fenêtres… et ce sont bien des ‘respirations’ qui nous habitent, parce que dans les sculptures de l’artiste Junseok MO, nous entrons au cœur de la ville, sans y prendre garde, mais avec émotion. Puis les immeubles se construisent par l’assemblage de lignes martelées et pliées au marteau ; de l’esquisse, en passant par la maquette en terre, l’immeuble se transforme ; maintenant, la frontière entre l’intérieur et l’extérieur n’existe plus ; tout est en transparence. L’absence de murs, suggère aussi la possibilité d’échanges.

Pohang

L’une des deux sculptures installées sur les plages du nord – Pohang – Corée du Sud – 2012

Pour bien comprendre le travail de MO, il faut aussi, je pense, revenir à une œuvre plus ancienne que l’artiste avait présenté à Pohang Steel Art Festival, à Pohang, une ville au sud de la Corée, en 2012. Pour présenter son œuvre, l’artiste écrivait : “Lorsque les maisons sont entièrement vidées – de tout ce qui encombre, de la présence humaine, des objets et des murs –, lorsque les maisons sont vides – qu’elles ne contiennent rien de perceptible, qu’elles sont dépourvues de leur contenu – on se sent vierge et même prêt à partager l’espace / les espaces avec les autres. Les nombreux ‘je’ exclusifs deviennent des ‘nous’ ensemble – l’un avec l’autre, les uns avec les autres –. C’est à cette question que je tente de répondre ; je cherche à vider l’espace petit à petit pour permettre de rencontrer l’autre, les autres”.

La ville phare – installation à Pohang 2012
[En parlant de l’autre œuvre que l’artiste présentait sur la plage de Pohang en 2012] Le phare placé tout en haut symbolise la ville portuaire – la ville qui accueille, la ville d’où l’on vient, la ville que l’on connait bien –, la ville portuaire de Pohang, aussi. “La lumière du phare est un repère ; elle nous permet de mieux voir la ville construite.” Dans cette allégorie, MO dit nous montrer “un village construit non seulement sans murs, mais aussi ouvert aux autres. Comme les bâtiments sont liés, ils sont indispensables les uns pour les autres”. Il dit encore s’interroger sur la notion de la coexistence avec les autres et sur le sens de la communauté.

Revenir à la source

Ébauche – 2016

Le village natal de Junseok MO a été construit sur une colline pendant la guerre de Corée par ceux qui ont fui la guerre. Ici, dit Junseok, “nous disons que le village est « un quartier de lune » car les maisons sont proches du ciel. Ici, de nombreuses maisons sont mitoyennes ; elles sont disposées les unes à côté des autres ; les rues sont étroites ; dans ma jeunesse, la porte était souvent ouverte, il n’y avait pas de barrière. Telle était ma ville natale. Elle a influencé mon travail”. C’est le fondement de l’œuvre ; pourtant depuis son arrivée en France, Junseok constate que beaucoup d’événements tragiques l’attristent profondément : les attentats en France, la crise politique en Corée du Sud, le problème des réfugiés et encore d’autres tragédies à l’échelle internationale, climatiques, sanitaires, etc. Ces phénomènes montrent régulièrement des effritements et des effondrements de la pensée communautaire et de la sociabilité d’abord. “Tout cela, dit-il, a nécessairement modifié ma vision de société idéale. Aujourd’hui, le doute s’est installé et je constate que certaines de mes œuvres sont plutôt ‘déconstruites’, froissées, compressées et distordues ; il y a là une opposition ferme aux formes parfaites que je recherchais autrefois. C’est une constatation ; il fallait sans aucun doute que j’en arrive là pour mieux revenir à ma pensée d’habiter”.

Pourtant aussi, la ville grandie ; d’autre portes s’ouvrent, il y aura toujours une place pour la sincérité. En rédigeant cet article et en discutant un peu plus avec MO, j’entends bien plus encore quelques noms de ses expositions passées : Permeate in light en 2013, les murs transparents en 2016, devant tout ce qui tremble et Palpitations en 2017. Je sais que l’œuvre n’est pas encore achevée.

Photos et illustrations de l’artiste, de Hwamin SHIN et de Chloé YOUNG

Petite bio de l’artiste : Né le 12/12/1984 en Corée du Sud, Junseok MO vit et travaille à Paris. Diplômé en Arts Plastiques de l’Université de Kookmin à Séoul en Corée du Sud, Junseok Mo a réalisé six expositions personnelles et une quarantaine d’expositions collectives à Paris et en Corée. Afin d’élargir son champ artistique, il s’installe à Paris en 2014 en tant qu’artiste et étudiant en Art Plastiques ; il est aujourd’hui en Master 2 Arts plastiques à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Il est lauréat du prix du public Icart Artistik Rezo 2019.

Voir le travail de l’artiste : http://www.mojunseok.com

L'auteur : Xavier Guillon

Rédacteur en chef et en os et profiteur d’espaces, il aime l’urbain et le crie haut et fort. En secret, il rêve de nature et prend régulièrement les chemins vicinaux.

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