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Ils l’appelaient l’AGORA de TOURS

En 1987, de jeunes architectes et professionnels du spectacle imaginent, pour la ville de Tours, un lieu d’événements tout en polyvalence, d’abord axé sur le spectacle dans sa diversité. Pour se faire, ils demandent à Éric Nagiscarde et Rocco Compagnone, deux architectes internationalement connus, de les accompagner dans l’élaboration du projet. Soutenu par le Maire de la ville, le projet est déposé en mairie de Tours en octobre. Depuis ? Rien. Il s’est passé des élections…

Nous avons retrouvé un exemplaire de la présentation faite par l’architecte Rocco Compagnone à la commission municipale chargée de l’étude du projet. Nous vous en faisons partager l’esprit.

Une salle au dénominateur commun
Pour l’architecte-scénographe Rocco Compagnone, « la salle doit pouvoir à la fois accueillir des spectacles à grande diffusion, mais également permettre de s’ouvrir à de petites formations musicales ou chorégraphiques et même à certaines compétitions sportives ». Toute une polyvalence mise en scène dans le respect premier d’une acoustique et d’une scénographie, satisfaisantes. L’originalité de cette salle, c’est qu’elle a été imaginée d’abord pour le spectacle, à partir des besoins connus des artistes et pas seulement des artistes européens « parce que l’Europe toute seule ne peut pas vivre » ajoute l’architecte spécialiste de grandes salles de spectacles et de sport, qui après avoir participé au côté de l’architecte Jean Prouvé à la réalisation de Bercy, participe à la même époque à la réalisation de deux autres salles de même type dans le monde ; l’une au japon – Yakohama Arena – et l’autre aux Etats Unis, le Madison Square Garden. Il ajoute : « lorsqu’on imagine une salle pour la production d’événements, d’un point de vue économique, on est bien obligé de trouver un dénominateur commun. Il faut faire des choix. Encore faut-il aussi savoir où placer l’excellence, dans la polyvalence ou plutôt dans la capacité de recevoir les spectacles produits ». Dans ses notes personnelles, l’architecte écrit encore : « C’est de l’intérieur et non de l’extérieur qu’il faudra apprécier les lieux nouveaux d’échanges instantanés, enregistrés ou télédiffusés. C’est à l’intérieur que le cœur de la communauté vibre ! C’est à l’intérieur que se fabriquent les “rêves”, aliments aussi indispensables que le pain. Qui, après avoir été englouti dans la foule des villes n’est saisi d’émerveillement par la simple découverte d’une cour intérieure, véritable oasis, au sein de laquelle Corps et Esprit renaissent ? »

Un essai d’élévation en rappel d’image
« “L’extérieur, les formes, les façades, l’enveloppe” ont toujours été avant toute chose des “parures, un habillage” dissimulant souvent la “structure ” de l’édifice. Confondre “parure et structure” c’est penser l’Architecture comme une “sculpture”, autrement dit un “monolithe” incapable de fournir à l’homme les divers abris dont il a besoin ». Dans l’écriture du projet d’une salle polyvalente pour la ville de Tours, il y a d’abord cette idée de fournir ce qui est essentiel (la capacité d’accueil d’un public plus ou moins nombreux), mais aussi faire que le lieu devienne un emblème, un signal. A la présentation du projet devant la commission municipale, Rocco Compagnone explique : « La question était d’arriver à un concept de bâtiment qui ne soit pas en dur afin que l’on puisse rester dans le respect d’une maîtrise de l’investissement, tout en valorisant l’image du lieu. Le symbole est important. C’est pour cela que l’architecture de la salle prend des formes accrocheuses, que sont deux pyramides pénétrant l’une dans l’autre. C’est un signal fort du dynamisme culturel de la ville ».

Un espace pour spectacles nomades
Cette forme permet l’utilisation de la toile de chapiteau, ce qui permet déjà de dégager une importante économie, mais surtout de conserver la nature nomade de la structure. Les bas-côtés de la pyramide sont utilisés pour incorporer une ceinture périphérique de services (loges, toilettes, servitudes techniques, etc…), mais aussi pour limiter les problèmes de dégradation et de vandalisme. C’est un bâtiment qui est destiné à rester à titre définitif ou qui peut être déplacé. Il ne s’agit alors que de « parapluies » permettant d’avoir la scène au centre, sur l’un des côtés, d’agrandir la salle ou la diminuer à souhait selon les besoins du spectacle mis en scène. La polyvalence du lieu permet une capacité d’accueil allant de 2 200 à 11 300 personnes.

La substructure d’un lieu d’événements
« Dès que l’on dit grande salle, se pose le problème de ce que l’on appelle la portée. Une salle de spectacle ne peut se permettre d’avoir des poteaux qui limitent le champ de visibilité. D’où l’idée de remplacer une structure horizontale par une structure verticale permettant aux arbalétriers de travailler à la compression et non à l’inflexion ». Le volume de la pyramide – lui aussi important dans l’usage – permet d’avoir une réserve d’air favorable au confort des utilisateurs et de pouvoir accrocher les équipements scéniques à la demande. Dans le concept de cette salle, il est tiré parti de la structure porteuse mais aussi de l’espace. Structure d’accueil, elle sert de poteaux pour les tours d’éclairage, pour la mise en place des passerelles techniques… L’architecte ajoute, « plus la structure sera simple, se réduisant aux éléments porteurs fondamentaux faits de colonnes et de dalles judicieusement étagées, plus elle formera un “châssis universel”, plus on pourra l’habiller de toutes les “carrosseries” possibles en des temps brefs et des coûts limités pour satisfaire le besoin de nouveauté et plus surement suivre l’évolution des technologies, lesquelles n’ont de sens que si elles procurent un avantage »…

… Un projet qui aurait pu ne pas rester à l’état de carte postale, et qui appartient déjà à notre mémoire patrimoniale.

Photo à la une réécrite par Etienne Seas, infographe à la rédaction / Illustrations Éric Nagiscarde et Rocco Compagnone

L’architecte Rocco Compagnone, chef du projet. Né en Italie, dans le voisinage de Monte cassino, Rocco Compagnone suit ses parents dans leur immigration vers Marseille en 1953. Il entre à l’Ecole nationale Supérieure des beaux-Arts de paris en 1965 et entre l’année suivante dans l’atelier de Guillaume Gillet. Parallèlement, il suit les cours de Jean Prouvé au Conservatoire National des Arts et métiers de Paris avec lequel il gardera d’excellentes relations. Dès cette époque, il réalise des décors de théâtre, de films et aménage des lieux aussi prestigieux que le Grand palais à Paris. Il réalise des corrections acoustiques pour les tournées du Domaine Musical, fondées et dirigées par pierre Boulez et Gilbert Amy. Il obtient son diplôme d’architecte en 1971. Plus tard, Rocco Compagnone imagine « les plateformes Lambda », un système de planchers mécaniquement mobiles avec sièges escamotables qui sera largement adopté en France (Bercy), en Europe, au Japon et aux Etats-Unis.

L'auteur : La rédaction

Les rédacteurs et photographes du magazine écrivent des paysages et des horizons.

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