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[À livre ouvert] Paysage Fer

Paysage Fer, de François Bon, a été publié en janvier 2000 par les éditions Verdier. Il a obtenu en mars 2000 le prix « Lire la Ville » décerné par la revue Urbanisme et France-Culture.

C’est un voyage en train réalisé pour bien garder en mémoire le rythme des trains et les ponctuations ferroviaires. “La route partout a remplacé le rail ; c’est pour cela que ce monde parait si vide” rappelle l’auteur. Ce qu’ajoute l’éditeur c’est que Paysage Fer est un “travail du regard sur ces apparitions répétées, fragmentaires, discontinues, afin d’inscrire la réalité dans un espace recréé jusqu’à ce que forme et construction l’emportent sur le chaos de la vision – beauté arrachée à un paysage dévasté pourtant tellement riche d’humanité”. Nous lisons bien tout cela.

Alors simplement, François Bon devient ce voyageur qui enregistre toutes les séquences et surtout commence par le début ; à chaque voyage, il y a une première gare, celle du départ. Puis, comme notre voyageur le rappelle, “chaque heure du train, les détails aperçus (…) tout d’un coup deviennent comme le récit d’un voyage en pays inconnu, un pays très lointain dont on ne saurait rien”. Il ne nous reste plus qu’à entrer dans le livre ; à nous assoir dans la même voiture que François Bon.

“Récurrence et répétition : chaque semaine, même minute, surgissement d’une même image, trop brève pour être retenue. Mais comme cette peau humaine d’un pays, image fréquentée, construite.

À Revigny, la place devant la gare, un bar avec une enseigne rouge et la route qui s’en va droit, perpendiculaire, entre des maisons. Le train ne s’arrête pas. Se préparer chaque semaine pour noter un détail supplémentaire et pourtant la rue toujours vide, à l’heure où c’est Revigny qu’on traverse (le nom écrit transversalement sur la gare et qu’on voit fuir) (…)

“Le mot partir. C’est nuit encore. Un ébranlement d’abord très lent, et on dirait que la ville se défait : des pans de vie qui s’éloignent, se distendent. Vous entourent encore et grimpent, on dirait, jusqu’au ciel.

Le mot départ. On ne s’en va pas, pourtant, en pays inconnu. Mais, au fil des fenêtres éclairées du train, des postures dans les compartiments : des gens partent, eux, pour partir. Il y a les valises, et cet arrachement au temps. On quitte le temps ordinaire : tout voyage est une séparation. Il suffit qu’un train vous dépasse, lentement, pour que l’inconnu surgisse.

(…) On s’en veut, parce que l’œil chaque fois se fait attraper, et jamais on ne sait à quel endroit de la carte placer ce qu’on a vu : l’usine verte compacte et mystérieuse, l’embranchement du canal, la route nationale aperçue et qui devient comme un jouet ou le vieux camion devant la ferme, cela devient un jeu d’observer, de prévoir, de retrouver (…) Attendre chaque détail, s’y préparer, et peu à peu, parce qu’on regarde dix fois la centrale thermique, les pavillons réguliers de Meaux, on dirait que l’œil apprend, que chaque fois il en remarque un peu plus (…) Le train nous offre le monde à profusion, villes et villages, travaux des champs et tâches des usines et pourtant : dans le train, front contre la vitre. On regarde. Et plus on cherche à regarder, plus il y a à voir.

Ce serait la première clé : ce qu’on veut bien voir, le front derrière la vitre, c’est sa propre mémoire. Un village dans la brume ? On porte en soi le rêve du village dans la brume, il est notre enfance ou celle de nos pères. On porte surtout ce mystère élémentaire : être homme parmi les hommes, c’est une curiosité toujours refaite. Alors, à une cuisine allumée, à une ombre animée derrière une fenêtre jaune, à un empilement de fauteuils en plastique dans le coin d’un jardin, ce qui fascine l’œil c’est qu’il identifie avant même de reconnaître. On est face non pas au monde, mais aux hommes dans leur monde, et ce monde est nôtre et l’humanité est un mystère en partage.

(…)

Secret : pourquoi, dans cette suite de gares, Épernay, Châlons, Commercy, Bar-le-Duc où on s’arrête, les gens qui descendent du train nous semblent toujours vus de dos ? Parce qu’on sait qu’ils s’éloignent, même le bref instant qu’ils surgissent ? Ou simplement parce que personne ne descend du train sans un bagage à la main ? Étrange impression d’un quai de gare, jamais un corps qui soit là pour rester. Sauf une fois, peut-être, cette vieille dame qui de Vitry-le-François voulait aller à Châlons, avait vu que le train s’arrêtait à 13h30, mais non, c’est seulement le dimanche. Le train est à 16h, et la salle d’attente est fermée, parce que personne n’utilise, ici à Vitry-le-François, de salle d’attente. Alors elle attendra sur le quai, la vieille dame.

(…)

Puis les usines. L’envie qu’on a, pour se repérer, pour comprendre, de faire des listes, des inventaires. Types de maisons, silos, usines, et le mystère de ce qu’on y fait. Et si le mystère de tout ce qu’on reconnaît c’était qu’on n’a même pas besoin d’en dire le nom, que c’est tout simplement notre chose humaine ?”

L’écriture est au rythme du chemin de fer ; il y a le départ et l’arrivée. Mais il y a surtout tout ce qui se passe entre les deux. Alors le mieux, c’est de poursuivre le voyage avec l’auteur pour entendre les paysages vivants ou endormis juste traversés ; pour apprécier aussi quelques arrêts sur images. Et puis, au-delà d’un livre de voyageur, Paysage Fer, est un texte de François Bon qui accompagne aussi le film documentaire de création, 52′ – production Arte et Imagine, un film réalisé par Fabrice Cazeneuve, avec les images de Pierre Bourgeois et de Fabrice Cazeneuve, le texte de François Bon, et le montage Jean-Pierre Bloc.

Photo à la une : photo de François Bon prise l’hiver 1999 avec un appareil photo jetable

Éditions Verdier – Lagrasse – 2000

En savoir plus sur l’auteur, le film et le livre : https://www.tierslivre.net/livres/paysfer.html

L'auteur : La rédaction

Les rédacteurs et photographes du magazine écrivent des paysages et des horizons.

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