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Table ronde à la cité de l'architecture - Histoire de Mame

L’anatomie du construit guide F. Azzi dans ses métamorphoses

Diplômé en 2000 de l’École spéciale d’architecture de Paris (ESA), Franklin Azzi a déjà une notoriété bien méritée. Son art : l’épanouissement de la lumière, des formes et des espaces. À cela, il ajoute son jeu avec les usages afin d’opérer la métamorphose. Tout cela, sans aucune grandiloquence, tout au contraire.

Ce qu’il sait bien faire, c’est transformer un souvenir en dynamique. Pour y parvenir, il a deux priorités : interroger les limites du construit et de son espace environnant, dresser l’inventaire des matières et des couleurs du lieu. Il en fait sa palette et son canevas. Il en tire l’information “génétique” qui lui permet de mieux apprécier le fonctionnement du site et son développement possible. Dans sa “reconstruction”, il apprécie la logique des parties composantes pour les reconnecter au nouvel usage. Dans cette démarche il n’oublie surtout pas l’usager. C’est ce qu’il appelle la règle du double principe efficience/cohérence. Plusieurs projets illustrent bien son travail : l’École Supérieure des Beaux-Arts dans les Halles Alstom à Nantes, l’École Supérieure des Beaux-Arts de Tours au sein de l’imprimerie Mame, le projet d’aménagement et de régénération du Battersea Power Station à Londres et bien d’autres encore.

Les Halles Alstom à Nantes

Site Alstom. Demolition Halle 6 bis. Nantes (Loire-Atlantique) 05/2014 © Vincent Jacques/Samoa
Site Alstom. Démolition Halle 6 bis. Nantes (Loire-Atlantique) 05/2014 © Vincent Jacques/Samoa

Lieu emblématique de la mémoire ouvrière de la ville de Nantes, l’histoire des Halles commence en 1850 avec la fonderie Voruz, leader d’une industrie qui hissera la ville aux premiers rangs de la construction navale mondiale ; un passé qu’il fallait garder en mémoire, mais pas seulement. L’idée était de le prendre en compte pour construire l’avenir, d’en faire le quartier de la Création. En 2011, le cabinet d’architectes de Franklin Azzi est choisi pour une réécriture des halles. 27 000 m² sont à réinventer. En septembre 2014, les travaux démarrent… À l’horizon 2020, le site accueillera 4 000 étudiants, 1 000 employés, et une centaine de chercheurs. Sur l’île de Nantes, les Halles Alstom accueilleront l’école supérieure des Beaux-arts de Nantes Métropole, des activités de formation et de recherche universitaire, des lieux d’exposition et d’animation, des artistes et de petites entreprises du secteur de la création.

Continuité d'un héritage
Continuité d’un héritage
Les coursives sont passerelles
Les coursives sont passerelles

En rappel du patrimoine industriel, les charpentes métalliques des halles 4 et 5 sont préservées. Franklin Azzi conserve la structure du bâtiment, mais ouvre les murs. Par la mise en place de panneaux translucides, il dématérialise en quelque sorte l’ensemble et libère l’espace. Dans ce projet, la lumière est pour l’architecte le matériau de premier ordre qui apporte une cohérence à la composition “en-deçà / au-delà – hier / aujourd’hui” et qui aussi, libère les coursives intérieures créées pour la circulation entre les différents niveaux et pour relier les différents volumes qui viennent s’insérer au sein de la structure.

L’imprimerie Mame à Tours

Les sheds de Mame
Les sheds de l’imprimerie Mame

Mame 2013 - les sheds(2) © Gaspar Païva

Le projet - vue arrière
Le projet – vue arrière
Le projet - façade principale
Le projet – façade principale

Autre lieu de mémoire, l’imprimerie Mame est la souvenance d’une longue tradition de l’imprimerie à Tours, d’une imprimerie dédiée aux livres d’art et de qualité. Mais l’imprimerie Mame est aussi le symbole d’une architecture industrielle du XXe siècle imaginée dans les années 1950 par l’architecte Bernard Zehrfuss, l’ingénieur Jean Prouvé et le peintre Edgar Pillet. Dès sa première visite sur le site, Franklin Azzi, remarque la qualité architecturale du site. Il le dit lors de la présentation de son projet de réhabilitation du lieu : “Zehrfuss et Prouvé ont étudié la course du soleil pour obtenir la lumière la plus constante possible, sans ombres portées, pour pouvoir travailler la couleur et l’impression de livres de très haute qualité. (Pour y arriver) Prouvé dessine des sheds au profil presque aérodynamique, habillés d’aluminium réfléchissant, restituant une lumière douce, homogène et argentée.” Avant toute restructuration, le  lieu est déjà un concentré de lumière. De la même façon que pour les halles Alstom, Franklin Azzi décortique le bâtiment pour ne conserver que le strict essentiel et valoriser ses qualités. C’est un travail qu’il mène avec l’aide de Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des monuments historiques qui connait très bien le lieu et son histoire. La structure modulaire pensée par Bernard Zehrfuss est entièrement préservée.  Les sheds, conçus par Jean Prouvé, sont conservés. Les couleurs  du peintre Edgard Pillet prévues pour accompagner la vie dans l’usine sont reprises.

En résultat, il semble au premier coup d’œil que le bâtiment est resté identique à ce qu’il était. Pourtant, afin d’obtenir une lumière de jour suffisante, l’ensemble des baies maçonnées existantes ont été ré-ouvertes sans que soit modifiée la logique constructive du bâtiment ; il s’agit d’un simple rétablissement des dispositions d’origine. À l’extérieur, l’ajout d’un grand parvis incliné reconnecte le bâtiment à son usage et au paysage urbain. Au deuxième regard, l’ensemble a gagné en légèreté. Sur le toit terrasse, les quatre pavillons préfabriqués en aluminium coiffés d’une toiture-coque sont préservés et abrités sous une verrière qui les valorise et qui éclaire l’ensemble.

La Battersea Power Station à Londres

The Battersea Power Station
The Battersea Power Station

La Battersea Power Station se situe au sud-ouest de Londres, sur la rive sud de la Tamise. C’est l’une des premières grandes centrales électriques au charbon d’Angleterre et reste encore aujourd’hui le plus grand bâtiment en briques d’Europe. Le projet est dessiné par l’architecte Giles Gilbert Scott, qui a aussi conçu “The red telephone box” et la centrale de Southwark (l’actuelle Tate Modern). À l’origine la centrale construite entre 1929 et 1939 n’est dotée que de deux cheminées (Une seconde partie sera rajoutée entre 1953 et 1955). Dessiné dans un style mêlant le néogothique traditionnel avec le modernisme, la noblesse de l’ensemble est ajoutée par touches : des portes de bronze, un escalier en fer forgé, des parements de marbre dans certaines pièces et une salle de contrôle dans un pur style art déco. L’immeuble est aujourd’hui l’un des monuments les plus connus de Londres, en raison de ses vastes dimensions et de l’histoire urbaine qu’il transmet. Véritable icône du XXème siècle, la “Battersea Power Station” figure sur la pochette de l’album “Animals ”(1977) du groupe Pink Floyd, ainsi que dans le livret intérieur de l’album “Quadrophenia” (1973) des Who. C’est encore le bâtiment en briques le plus grand d’Europe.

Battersea Power by Franklin Azzi
Battersea Power by Franklin Azzi

Véritable merveille industrielle, la “Battersea Power Station” va renaître pour accueillir un tout nouveau quartier. Elle devient ainsi le symbole du plus gros projet de régénération urbaine au monde. Au concours lancé par la ville, Franklin Azzi répond en intégrant la vie de la Tamise à la vie du quartier. C’est de la variation du niveau du fleuve qu’il s’accommode pour une pérennité d’usage. Dans sa proposition, il a pensé à la sécurité du site et à son accessibilité en période de crue. Il pense au cheminement, à la jetée (élément fixe), au ponton (infrastructure mobile) et aux barges (les équipements flottants). L’objectif de l’architecte n’est pas de créer de nouveaux espaces, mais plutôt de ré-ouvrir des “lieux retrouvés”, de rétablir un contact avec le fleuve pour s’échapper “un peu” de l’urbanité. Dans ce projet, Londres est bien là, mais l’on s’en préserve aussi. Il reste les berges de la Tamise que l’on voit plus proches, plus accessibles. Le fleuve est bien présent. On s’y promène. L’architecture de Franklin Azzi s’y profile en insertion.

Boulevard Raspail à Paris - Avant
Boulevard Raspail à Paris – Avant
Boulevard Raspail - Intervention chirurgicale
Boulevard Raspail – Intervention chirurgicale

Dans une pratique de la réhabilitation, l’architecture de Franklin Azzi est simple, efficace, élégante et signée. Elle interroge bien l’espace et les volumes, sait conserver l’essentiel pour ne pas étouffer le souvenir. Dans sa façon de construire, il allège notre patrimoine de quelques histoires sombres. Il le libère.

 

 

Crédits images © Franklin Azzi Architecture, Luc Boegly sauf  photos sheds © Gaspar Païva et Photo Site Alstom. Démolition Halle 6 bis © Vincent Jacques/Samoa

L'auteur : Xavier Guillon

Rédacteur en chef et en os et profiteur d’espaces, il aime l’urbain et le crie haut et fort. En secret, il rêve de nature et prend régulièrement les chemins vicinaux.

Un commentaire

  1. An inegllitent point of view, well expressed! Thanks!

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