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Philippe Croizon, amputé des deux bras et des deux jambes, s'entraine afin de préparer la traversée de La Manche à la nage. La Rochelle, le 27 05 2010. PHOTO XAVIER LEOTY

Electrochoc

A vingt-six ans, Philippe Croizon est électrocuté. Amputé des quatre membres, quelques années plus tard, il traverse pourtant la Manche à la nage. Depuis, il pousse le bouchon toujours un peu plus loin. « J’ai décidé de vivre », écrit-il. Nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle d’une vie sans handicap.

VILLA DECO : Dans sa définition, un handicap est un désavantage qui met quelqu’un en état d’infériorité. Pour vous Philippe Croizon, c’est quoi le handicap ?

Philippe CROIZON : C’est la société qui est en situation de handicap. Si la société est adaptée, si je peux accéder à tous les endroits publics ou privés, si ma maison est adaptée, je ne suis plus handicapé. Si à l’extérieur, je peux aller au cinéma, faire ce que je veux, tout va bien. A partir de ce moment, le handicap n’existe plus. Il n’y a pas photo, c’est notre société qui est handicapée. Wales est un petit village de 150 habitants, situé à une centaine de kilomètres du cercle polaire. Dans la maison commune, une rampe est adaptée aux personnes handicapées. Dans l’école une rampe, des toilettes, une douche … le tout adapté, alors que personne n’est handicapé dans le village. Lors de mon séjour, je ne me suis jamais senti aussi bien. J’étais pourtant au bout du monde, mais j’étais libre. Quand j’étais à Londres, aux jeux para-olympiques, j’ai encore ressenti cet air de liberté. Je parlais avec des athlètes qui me disaient « tu te rends compte, on peut prendre le métro, le taxi, le bus. On peut aller où l’on veut ». Mais voilà, en France, alors que la prise en compte de l’accessibilité est née par une loi du 5(11) février 2005 qui devait aboutir en 2015, on attend le prochain rapport ministériel (en septembre) qui permettra de repousser l’échéance. On parle de 2022. Alors que des villes dans le monde ont été capables de mettre les points sur la table et de dire « je veux que ma ville soit accessible », un pays tout entier dit : plus tard, il n’y a pas d’urgence.

V.D : On aimerait une société qui fonctionne pour tous, pour le plus grand nombre. Comment vous voyez la chose possible ?

P.CROIZON : C’est comme ça qu’elle devrait déjà être. Il y a des pays où c’est déjà le cas. Dans la culture japonaise, les personnes en difficulté, les personnes âgées, font parties de la société. Dans la majorité des pays anglo-saxons, tout le monde doit pouvoir participer à la vie sociale sans aucune exception. L’accès à l’école pour les handicapés, l’accès au travail… Pas de loi, pas d’obligation, c’est naturel. En France, on pense qu’il faut faire des lois pour parvenir à ce que cela devienne naturel. Alors en opposition, la loi, devient stigmatisée. Les gens disent « les handicapés nous coûtent cher ». Ils oublient que la société a passé des années et des années à ne rien faire, à attendre et que les personnes en situation de handicap vivaient en dehors de toute vie sociale. Et c’est vrai aussi que pour une petite commune, ça coûte cher. Allez expliquer aux administrés, alors que vous n’avez personne dans le village qui est handicapé, qu’il faut tout de même faire des travaux pour améliorer l’accessibilité.

V.D : Vous y croyez vraiment à cette société pour tous ?

P.CROIZON : Et oui j’y crois. Bien sûr ! Mais malheureusement dans combien de temps. Est-ce que je la verrai un jour ? (souligné par un grand rire). Pourtant je ne suis pas si vieux, je n’ai que quarante-cinq ans. Dans notre société, la personne handicapée se dit : est-ce que je peux ? Est-ce que je peux aller faire mes courses ? Est-ce que je peux aller à la banque ? Est-ce que je peux aller au cinéma ? Moi, j’ai un projet de société où la personne handicapée dit : je vais faire mes courses, je vais à la banque, je vais au cinéma ! Comme tout citoyen. Le citoyen ne dit pas : « est-ce que je peux ? »

V.D : Dans un travail pour la cité de demain, comment envisagez-vous votre rôle ?

P.CROIZON : A mon petit niveau, je dis simplement les choses que j’ai sur le cœur. Je suis un changeur de mentalité, changeur de regard. C’est vraiment le job qui me travaille au corps. (rire) C’est pour ça que je fais beaucoup de conférences dans les écoles et dans les entreprises en France et même à l’étranger. Je ne cherche pas plus. J’espère faire évoluer le regard. Je pense qu’on en est simplement là encore aujourd’hui. Il faut faire bouger notre société, et pour cela il faut que le regard change, que les mentalités évoluent. Depuis la loi de 2005, on accepte les enfants en situation de handicap en milieu ordinaire, dans les classes. Cela sert aussi à modifier le regard de la société. Dans les entreprises, je parle de l’accès à l’emploi, je rassure les managers qui ont peur du manque de performance. Dans la mentalité encore aujourd’hui, une « personne handicapée » est non performante. Alors que non, on peut aménager le poste de travail, le temps de travail et la performance reste. L’entreprise y gagne. Il faut vraiment que le handicap et l’accessibilité entrent dans les mœurs.

V.D : Pour un avenir heureux de la cité, quel est le message que vous aimeriez faire passer ?

P.CROIZON : Plus de 12 % de personnes (entre 12 et 15 %) vivent avec une déficience en France. A cela il faut ajouter les handicapés d’un jour (ceux qui ont une jambe dans le plâtre, un bras…), ceux qui vivent avec une déficience légère, les mamans avec les poussettes, les personnes âgées (dont la progression démographique est en flèche), les gens qui circulent à pied ou à vélos simplement… la question de l’accessibilité concerne toute cette population. Une simple addition de tout cela, et ce n’est plus qu’une petite minorité qui est concernée, mais nous tous.

L'auteur : Xavier Guillon

Rédacteur en chef et en os et profiteur d’espaces, il aime l’urbain et le crie haut et fort. En secret, il rêve de nature et prend régulièrement les chemins vicinaux.

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