Ethnographie d’une communauté de cabaniers sur le littoral camarguais.
Résumé
Beauduc, plage de Camargue, est un territoire atypique constellé de cabanes et peuplé d’habitants permanents ou occasionnels qui s’y réinventent une société. Mais cet espace de vie et de vacances est depuis plusieurs décennies le théâtre de conflits d’appropriation entre campeurs, cabaniers, pouvoirs publics et institutions de protection de la nature. À l’opposé de nombreuses autres utopies, l’expérience beauducoise place la pratique au fondement même de son idéologie et de son imaginaire : un rapport à la nature singulier, des formes sociales inédites et un habitat adaptatif qui témoigne d’une appropriation de l’espace moins éloignée qu’on ne le croit d’une sensibilité écologique. Cet ouvrage retrace l’histoire longue et inédite de la polémique liée à cette forme inaccoutumée de fréquentation humaine. Les résultats qu’il présente sont le fruit d’une longue et patiente observation ethnographique de Laurence Nicolas, docteur en ethnologie. L’auteur n’a pas hésité à s’installer à Beauduc voilà quinze ans pour suivre au plus près cette expérience sociale.
L’intérêt de l’ouvrage
Quiconque a eu l’occasion, parcourant à pied le littoral camarguais d’est en ouest, de l’embouchure du Grand Rhône et celle du Petit Rhône, de passer par Beauduc, improbable village fait de bric et de broc entre la mer et les étangs saumâtres, a relevé la dimension atypique de la communauté installée là, aux effectifs fluctuants, à l’habitat incertain. C’est en ces lieux que, en 1993, la Direction régionale des affaires culturelles a envoyé Laurence Nicolas pour une mission d’inventaire du patrimoine ethnologique. En 2006, treize ans plus tard, elle soutenait son doctorat d’anthropologie à l’université de Provence. C’est de cette thèse qu’est tiré cet ouvrage. Il est alors un élément qui peut troubler le lecteur croyant se lancer dans la lecture d’un texte qui se devrait d’être rébarbatif et découvrant un livre qui, en dépit de son indéniable dimension scientifique, est d’un abord que ne savent pas toujours autoriser de tels écrits. Il présente également nombre de documents, photographies prises par l’auteur ou clichés remis par des Beauducois, images zébrées par la lumière du soleil qui s’infiltre entre les canisses, mais aussi des photographies aériennes, des cartes, des relevés, des plans. Lorsque l’on voit un tel livre, l’on se doute bien que l’éditeur a joué un rôle essentiel, ne serait-ce qu’en accordant sa confiance à l’auteur. C’est le cas : dès les premiers pas de la doctorante sur le sable de Beauduc, il lui a fait savoir qu’elle pourrait tirer de sa thèse un tel ouvrage. Quinze ans plus tard, il sortait des presses.
Observation participante, longue, pleine, la démarche scientifique de l’auteur se justifie aussi par l’intérêt que lui semble présenter une expérience très intense de sociabilité populaire, lorsque des hommes et des femmes mettent en place un rapport largement non-marchand à l’espace et au loisir : même les restaurants de Beauduc n’eurent pas grand chose en commun avec d’autres implantations illégales bien mieux tolérées par les autorités. Laurence Nicolas n’hésite pas à citer Oscar Lewis : « Les instruments les plus efficaces de l’anthropologiste sont la sympathie et la compassion envers les gens qu’il étudie. » Elle a donc sympathisé avec les Beauducois, des « natifs » à ne pas confondre avec les Beauducul, ces touristes qui passent et bronzent sur la plage. Elle explique dans ce texte comment ces hommes et ces femmes, qui viennent pour beaucoup de l’agglomération de Marseille, ont construit leurs petites baraques, les ont améliorées lorsqu’ils revenaient régulièrement. Quelques cabanes de pêcheurs avaient été édifiées sur ces terres (et ces sables) dès le milieu du XVIIIe siècle. Mais l’habitude s’est prise plus forte dans les années 1930 de venir passer la journée à Beauduc, d’y pêcher, d’y manger. (…) Dans l’ouvrage, très vite, Laurence Nicolas nous décrit la démolition des cabanes, en novembre 2004. Elle loge alors sur place, est parmi les rares témoins : la préfecture a bouclé sans difficulté cette partie de la Camargue où il est malaisé de circuler. Récupérant beaucoup et consommant peu, ces cabaniers sont pour le moins écologistes, utilisent les énergies solaire et éolienne, récupèrent les eaux pluviales. C’est pourtant contre eux, qui ont osé s’installer illégalement dans cet « espace naturel protégé », que l’État envoie ses gendarmes mobiles tandis que le complexe industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, tout proche, dont les cabaniers voient les lueurs dans la nuit, ne suscite pas la même mobilisation en dépit de ses entreprises classées « Sevezo ».
Christian Chevandier, Professeur d’histoire contemporaine à l’université du Havre : « Compte rendu de Laurence Nicolas, Beauduc l’utopie des gratte-plage. Ethnographie d’une communauté de cabaniers sur le littoral camarguais, 2008 », Le Mouvement Social, et en ligne : http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1548.
Sommaire
POLO / CABANES ET CAMPEMENTS SUR LE LITTORAL / CAMARGUAIS / HISTORIQUE DU LIEU : Le mélange, le trouble et la confusion ; Du poisson au sel ; Du passé faisons table rase / LA COMMUNITAS DE BEAUDUC / L’HABITAT BEAUDUCOIS : Les trois quartiers ; Typologie cabanière à Beauduc ; Caractéristiques générales de l’habitat / BEAUDUC AU JOUR LE JOUR : PRATIQUES, DONS ET ECHANGES : Le tour de Beauduc en un jour ; Les gratte-plage ; Pêche en mer, un art aux multiples facettes ; Pèche en étang ; Ramassage de tellines ; Pêcher, une confrontation directe au milieu naturel ; Réseaux et échanges ; Groupements et associations / COMMUNITAS ET UTOPIE : Au pays des hommes nus ; Tradition orale et écrite / FIN D’UNE UTOPIE : Le combat, la résistance ; L’Age d’or de l’utopie des gratte-plage.
La publication
Ce livre a été publié avec le concours du Conseil général des Bouches-du-Rhône, de la Ville d’Arles, de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur du Centre national du Livre du service ethnologique de la Direction régionale des affaires culturelles du Languedoc-Roussillon, du Parc naturel régional de Camargue, de l’association de Sauvegarde du patrimoine de Beauduc, de l’Hôtel Nord-Pinus
Auteur : Laurence Nicolas – d’après une Thèse de doctorat en Anthropologie soutenue en 2006 à Aix-Marseille 1 – en partenariat avec l’université d’Aix-Marseille – Pôle Humanités, sciences humaines et sociales
Bernard Picon (Préfacier), Isabelle Catino (Illustrateur), Alain Dervieux (Photographe), Collectif
Éditeur : Images en Manoeuvres Editions – parution : 25 août 2008 – Épuisé
La photo à la Une : Vue de Beauduc plage – cliché : Paul Minvielle, 2004 / Photo dans l’article : La cabane de l’indien à Beauduc Plage – Cliché Paul Minvielle – mars 2004 /
Les deux photos ont été extraites de “ La gestion d’un grand site camarguais : les cabanes de Beauduc” de Paul Minvielle. En savoir plus sur Beauluc Plage : Lire l’article de Paul Minvielle, Maître de Conférences, UMR TELEMME, MMSH, Université de Provence – Aix-en-Provence, dans Méditerranée : https://journals.openedition.org/mediterranee/336?lang=fr