Accueil > Partis pris > L’Observaloire de l’architecte Jean-Yves Barrier reste en mémoire
L'Observaloire à Rochecorbon (37)

L’Observaloire de l’architecte Jean-Yves Barrier reste en mémoire

Au tout début, en 1989, une invitation, celle du maire de Rochecorbon, une petite ville de l’agglomération de Tours construite en vallée de Loire, en bordure et à flanc de coteau.

Je lis dans  Jean-Yves Barrier, architecte et urbaniste, d’Andrew Ayers, Édition Axel Menges, 2009, que « l’Observaloire de Rochecorbon ne devait être à l’origine qu’un simple kiosque d’information flanqué de toilettes publiques. Mais à ce modeste projet sont venus s’ajouter un local à VTT, un espace d’expositions et enfin un belvédère conçu comme poste d’observation. Celui-ci était l’idée de Jean-Yves Barrier, qui trouvait dommage de ne pas profiter du point de vue sur la Loire, principal attrait touristique du village ». Et dans sa forme finale, l’Observaloire marquait avec brio l’entrée de Rochecorbon et incitait les touristes et autres amateurs de la Loire à s’arrêter pour accéder au belvédèreprofitant ainsi de cette sorte de loge largement ouverte sur le fleuve. L’architecte est aussi un homme de théâtre. Dans ce projet présenté à la biennale de Venise de 1991, mais aussi à l’Institut Français d’Architecture (l’IFA), à Dusseldörf, New-York, au Japon, l’architecte, en homme de théâtre, nous offrait la Loire en spectacle.

Revenir sur l’objet

Juste pour reprendre les idées et les mots qui en présentent l’intérêt. «C’est un projet d’urbanisme et d’architecture qui répond à des besoins » me dit Jean-Yves Barrier qui ajoute : « la bonne idée était de revenir au plus simple, passer du paysage à l’objet, et de l’objet au paysage, puis transformer l’usage en art ». « L’objet est un repère, un point de rencontre, un lieu de rendez-vous ».

L’Observaloire vu de la Loire

Il me dit aussi qu’à l’origine du projet, l’Observaloire ne devait être qu’un lieu de halte pour voir la Loire, la faire valoir. Le fleuve sera inscrit fin 2000 au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO qui reconnaît alors la valeur universelle du paysage ligérien dans son authenticité et son intégrité. À noter que la  présentation qui en est faite par l’UNESCO, il est précisé que « que le Val de Loire est façonné par des siècles d’interaction entre le fleuve, les terres qu’il irrigue et les populations qui s’y sont établies tout au long de l’histoire ». Son projet s’inclut donc parfaitement dans ces termes. L’Observaloire est un écho à la lanterne, un amer, un repère, comme l’est la lanterne de Rochecorbon. Son projet était donc un magnifique préambule à cette inscription.

Inscrire le bâtiment dans le paysage

Lorsque l’on vient de Tours, ou même de Blois, ce que l’on remarque au premier abord, c’est la Loire, ses arbres, les jardins dans la varenne, et directement placées entre la levée et le coteau, les constructions en tuffeau couvertes d’ardoises, la muraille calcaire percée par des caves et habitations troglodytiques. Et tout en haut de la falaise, la lanterne, frêle sentinelle solitaire, dernier vestige d’une fortification moyenâgeuse qui se dresse.

Pour l’architecte Jean-Yves Barrier, les éléments qui  allaient fonder le projet étaient là. « Il me fallait, me dit-t-il à l’occasion de nos nombreuses discussions, revenir sur le sujet principal, la Loire. Parler d’elle, la montrer. Je n’avais plus qu’à décomposer ce qui était devant moi pour en reconstituer l’essence. Je n’avais plus qu’à reprendre l’écriture de la Loire, avec sa syntaxe et sa ponctuation. Cela a été mon intuition ».

Et selon son habitude, comme l’a si bien dit l’éditeur et commissaire d’exposition Massimo Riposati dans Jean-Yves Barrier, dessins, Édition Diagonale, 2002, l’architecte est devenu ce voyageur avisé et attentif aux détails, explorant un espace inconnu. Il a pris le crayon, cette façon pour lui de percevoir mieux les choses [percevoir dans le sens de percer pour voir], d’interpréter plus librement ce qui lui était proposé à voir.

Telle a été sa rencontre avec ce petit morceau de Loire, cette Loire au pied de Rochecorbon. De tous ces morceaux notés et dessinés, il a conservé l’essentiel pour développer son projet d’un « point de vue sur la Loire ». Il a trouvé un nom à cet objet nouvellement dessiné : L’Observaloire , « pour observer la Loire, pour la faire valoir ».

Évoquer le bâtiment

La vigie de l’Observaloire
L’Observaloire – vue sur la Lanterne

D’abord sa matière, l’acier, et le traitement de ses surfaces ; ensuite, sa passerelle qui, de la longue rampe d’accès ou encore de l’escalier en colimaçon, permet d’accéder à la vigie ; l’inclinaison de son bimini la protégeant du soleil ou de la pluie ; enfin, l’apparente légèreté de sa structure : tout nous laisse voir l’Observaloire comme un navire prêt à appareiller.

Le château du navire est son belvédère circulaire. Sa vigie est bâtie sur une pièce pivot articulant l’ensemble de l’ouvrage. Le pont principal et sa longue rampe d’accès sont, eux, bâtis sur pilotis. Et les zones destinées à la circulation des piétons sont en tôle donnant cette sonorité si particulière avec cette résonnance qui l’accompagne que l’on entend en marchant sur la passerelle et la rampe d’accès. Accéder au château par l’escalier nous inspire le prochain départ…

Autre détail d’importance, juste placé à l’arrière de la passerelle, un mât attend que soit ajouté le “girouet”, cette girouette qui autrefois était fixée aux sommets des mâts des embarcations qui naviguaient sur la Loire. Celui (peut-être) qui sera dessiné 10 ans plus tard lorsque l’UNESCO aura inscrit le Val de Loire, de Sully-sur-Loire à Chalonnes-sur-Loire, au patrimoine mondial.

L’Observaloire vu du coteau

Et comme s’il s’agissait d’un bateau de tête conduisant des bateaux suiveurs,  à bâbord  le bâtiment abritant une salle d’exposition, à tribord celui abritant un local à vélos et les sanitaires. La salle d’exposition se distingue de l’ensemble  par l’utilisation du verre et de l’acier. Dans l’esprit du modernisme, essentiellement, l’architecte met ici l’accent sur la forme épurée de l’espace. L’autre bâtiment est cabané. Il est bardé et couvert par des tôles peintes comme pourrait l’être une cabane de chantier, un atelier. Surtout, l’inclinaison de l’ensemble des toitures des structures  annexes nous laisse encore imaginer que l’ensemble déjà s’engage vers le fleuve.

L’Observaloire vu du coteau
L’Observaloire vu de la Loire

Mais c’est avant tout, insiste l’architecte, « un grand oiseau venu se poser au bord du fleuve. Cette image est assez évidente sur l’un des clichés pris par le photographe Sébastien Andréi depuis le coteau ». Une cigogne blanche, un balbuzard pêcheur, une mouette, ou plutôt un goéland leucophée, cet oiseau de grande envergure et habitant notre Loire qu’on reconnaît à son plumage grisé.

Parler du choix de la couleur

Géographiquement le bassin ardoisier s’étend d’Angers jusqu’à Rénazé, en périphérie de la vallée de la Loire. Et les ardoises de Trélazé et de Noyant sont d’une couleur gris-bleu, que d’une façon commune nous appelons “gris ardoise” ou “bleu ardoise”. Dès le XVe siècle de nombreux châteaux de la Loire s’en couvrent (Amboise, Chambord, etc.) faisant de l’ardoise un des symboles de notre région. Mais ce n’est pourtant qu’au XIXe siècle, avec le développement de l’outil industriel et le transport fluvial, que l’usage de l’ardoise se développe en Touraine. Et aujourd’hui, l’ardoise est omniprésente sur les rives de la Loire. Cette couleur, que l’on retrouve dans les teintes habituelles de la Loire, mais aussi dans les couleurs des couvertures des maisons qui bordent le fleuve,  est  pour l’architecte la couleur emblématique de la Touraine. Il retient l’aspect métallique du matériau qui permet d’obtenir  par la pose de sensibles reflets lisibles selon les heures. Là encore l’histoire transpire.

De ricochets et d’échos, l’architecte Jean-Yves Barrier a construit un dialogue entre histoire et modernité. Il le rappelle souvent : sa démarche se situe à la fois dans la continuité historique, dans la bonne échelle, avec les bons matériaux, pour poursuivre la composition dans le langage de notre époque, avec délicatesse et précision. « L’Observaloire, objet remarquable dans le paysage fait figure de contrepoint contemporain face à l’autre monument de Rochecorbon, la Lanterne du XVe siècle qui se dresse sur le coteau » note l’architecte et journaliste Andrew Ayers en 2009.

Oui mais, aujourd’hui l’édifice n’est plus. L’Observaloire a été abattu en février dernier.

Avec les dessins de l’architecte Jean-Yves Barrier et les photographies de Jean-Yves Barrier et du photographe Sébastien Andréi.

L'auteur : Xavier Guillon

Rédacteur en chef et en os et profiteur d’espaces, il aime l’urbain et le crie haut et fort. En secret, il rêve de nature et prend régulièrement les chemins vicinaux.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *