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De la terre, de l'eau et du ciel... Une photo de Frank Lavenu

[UN LIVRE] L’Articulation du visible – De Olivier Domerg

Ce livre est une lecture d’un paysage, une prose poétique qui nous permet de visiter un paysage dans ses infinies variétés, ses “ lignes de rupture, de coupe, de crête ou de front ; liens ou formations ; déclivités ou mamelons ; qui sont comme des respirations ; qui fondent et forment, en quelque sorte, une ponctuation du visible” écrit Olivier Domerg.

Petit extrait

“Partir de là, de cette évidence : la fin de terre et l’océan de toutes parts. De cela auquel on n’échappe, et même le voudrait-on, qu’il faudrait fermer portes et volets, et rester à demeure, entre quatre murs. Mais sitôt sorti, l’on en serait environné et pénétré, comme de l’évidence.

Devant nous, s’étend, sur trois cents mètres au moins, un paysage maritime typique du Finistère : pentes herbeuses, rarement boisées ou alors d’arbustes ras, descendant ou tombant vers le rivage ; la plage de sable ou de galets ; l’océan ; le ciel indomptable. Et, précédant ce bord de mer, le vallonnement champêtre, les cultures, l’éparpillement des maisons (petits parallélépipèdes blancs aux toitures ardoise), la ligne rocheuse des falaises, franges et cassures.

Ce paysage, tel que vous le découvrez ; tel qu’il se présente ; semble uni, d’un seul tenant. Or, à y bien regarder, que voyez-vous ?

— Un certain nombre de points, de traits communs, d’éléments et de figures, de “syntagmes” naturels ou non, se répètent : lignes de rupture, de coupe, de crête ou de front ; liens ou formations ; déclivités ou mamelons ; qui sont comme des respirations ; qui fondent et forment, en quelque sorte, une ponctuation du visible

[Dans les intervalles, les signes les sillons les saignées ; haies, talus, enclos ; zones délimitées par le découpage des terrains et des prés ; prairies de fauche, champs de blé ; chemins, bornes, sentes, pelouses ; tissu des routes, des accès et des issues. Ou bien, dans ces vides et interstices entre les pierres du mur. Ce qui, en d’autres termes, fait tenir les morceaux. Les monceaux. L’émiettement et le morcellement des surfaces ; les éléments de continuité et de discontinuité ; les nœuds, les frontières, les fondrières, les traits d’union, les rangs d’oignons, etc. Cet ensemble implicite qui agrège, articule entre elles les différentes parties, les pans disjoints, la dispersion des plans et des plantes (comme dans le potager voisin). Tout ce qui lie, tout ce qui fait que les choses vous apparaissent – d’un bloc –, fondé et harmonieux, préexistant à toute observation ; comme éternel et unitaire ; latent dans l’évidence du paysage].

Unité de lieu et de vue (clause commune) ? Identité ou fondement d’un site à l’intérieur d’un même regard ?

[Toute cette beauté qui bruit

Lorsque la mer remonte.]

Insistons. Je pointe la chose, quitte à la désigner du doigt. Je ne parle ici que de ponctuation. Celle du visible, et donc, du paysage ; de tout paysage. Pourquoi et comment en parler autrement ? Voyez ces points d’attache ou d’ancrage, ces « lignes de force », ces rets colorés, ces collines, réseaux, dépressions et vallons (où coulent les ruisseaux). Voyez les lignes de crête, les à-pics ; les cimes des futaies qui barrent les enclos, protégeant les cultures ; les boqueteaux ; les chemins de labour qui entourent les champs ; les sentiers et les routes. Voyez les poteaux téléphoniques ou électriques ; les intervalles qui les séparent, les espacements, les côtoiements, les accotements, les couleurs ; les deux-trois réverbères qui éclairent le hameau ; les amarres qui retiennent les barques à Pors-Poulhan ; digues, jetées, escaliers de la plage ; chaussées, talus, fossés ; toute série qui ne soit ni impromptue ni incidente. Tout élément qui coordonne ou juxtapose ! Qui organise la trame ou la texture de ce que l’on voit ! L’implantation des arbres et des maisons ; le choix des cultures, l’exploitation des surfaces ; les délimitations naturelles ou humaines ; l’agencement du territoire ; le chant de la langue; le maillage et le rapiéçage des routes et des chemins…

Tout ce qui fait « ponctuation ». L’équivalence et la répétition. Tout ce qui définit cette ponctuation, spatiale, pertinente, admirable (…)”

Ce qu’en dit l’éditeur

L’Articulation du visible constitue une expérience sensorielle, tant il renvoie à l’élémentaire : les couleurs, l’océan, la lumière, le vent, le corps. Le lieu dont le livre parle s’appelle le Gored (« la pêcherie » en Breton) et se situe sur la côte de Plozévet, village du Finistère, à quelques kilomètres de la Pointe du Raz. Mais ce livre aurait très bien pu s’écrire ailleurs, sur d’autres rivages où, pareillement, les variations de temps et d’océan, proposent des changements presqu’à vue du paysage.

Ce qu’en dit Odile Bonneel, bibliothécaire et critique littéraire

Ce livre est une description poétique, une lecture du paysage. Le lieu : Le Gored, dans le Finistère, près de la pointe du Raz et du sentier des douaniers. O. Domerg prend le pouls de cet extraordinaire petit coin de terre. La côte rocheuse, les longères qui bordent le rivage, les murets de pierres sèches, l’estran sableux, le vertigineux remue-ménage de l’océan, le vacarme de la marée montante, les galets qui « boulent dans la gorge rugissante des vagues/Qui paraissent en mesure de les avaler », la lune « ronde bouée dans le ciel nocturne », les furiosi du vent… Magies du grand large : « La plage est le lieu de l’apaisement/on s’y délivre/De toute cette pesanteur/Accumulée dans les membres et le corps ».

Ce livre est une réflexion sur le paysage et ses multiples facettes, le voir (les points de vue), les cinq sens, le « comment nommer », le réel, le mouvement. Un traité du regard, le paysage comme champs d’investigation, comme centre de l’écriture. O. Domerg, arpente, enregistre le visible, dépèce l’espace : « Le monde toujours déborde, submerge le texte. Impossible de le fixer sur la page qui l’excède ; comme le présent excède sa saisie ». Nous avons été fascinés par cette description poétique de l’univers marin qui capte toutes les sensations océanes, leur infinie variété. Ce livre est une Bible poétique de l’océan, une invitation à la promenade, au grand air et au grand large ! Posologie : ne pas lire d’une seule traite. Prendre quelques pages comme on prend un loukoum et répéter ce geste au fil des jours !

Odile Bonneel dans InterCDI n°199 Janvier/Février 2006

Éditeur : Le mot et le reste / Parution : 10/07/2005

L’auteur : Le travail littéraire d’Olivier Domerg pose, entre autres, la question du paysage, de l’espace et des lieux. De livres en livres, il poursuit cette expérience de prose poétique, de Vassivière à New York. Il anime, avec d’autres, la maison d’édition Autres et Pareils, ainsi que les éditions Contre-Pied et organise de nombreuses rencontres poétiques, performances et expositions. (Source Wikipédia) À lire aussi : Le ciel, seul, éditions Le Bleu du ciel, 2005. Le chant du hors champ, avec la photographe Brigitte Palaggi, Fage éditions, 2009. Le temps fait rage, aux éditions Le Bleu du Ciel, 2016 …

 

L'auteur : La rédaction

Les rédacteurs et photographes du magazine écrivent des paysages et des horizons.

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