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L'un des magasins de la SNCF à Saint-Pierre des Corps - Photo Gaspar Païva

Urgences Patrimoine, une utopie en action-réaction ?

Qu’est donc l’association Urgences Patrimoine ? C’est ce que nous avons cherché à savoir lors d’une rencontre, en février 2015, avec Alexandra Sobczak, présidente de l’association. Pourquoi voulions-nous la rencontrer ? Parce que régulièrement le patrimoine nous interroge.

Mais aussi parce que Alexandra Sobczak n’aime pas le “jetable” et qu’elle dit rester attachée à l’histoire qui construit notre ADN.

Nous voulions en savoir plus.

ZoneFranche.media (ZF) : L’idée de cet entretien m’est venue d’un constat. Vous avez créé, il y a quelques mois, Urgences Patrimoine. Sur Facebook, vous faites le buzz. En partant d’une simple association, Urgences Patrimoine est devenue très rapidement un groupe, et plus… un mouvement. Pourtant à la lecture des postages Facebook, on ressent que la notion de patrimoine n’est pas entendue d’une façon commune. Je reprends la définition de Monsieur Larousse (illustre référence appartenant à notre patrimoine) : “Le patrimoine est ce qui est considéré comme l’héritage commun”. En créant Urgences Patrimoine, quelle était votre idée première ?

Alexandra Sobczak
Alexandra Sobczak

Alexandra Sobczak (AS) : Dans le cadre de mon activité professionnelle – la réalisation d’inventaires et l’expertise d’objets d’arts pour les besoins d’assurance – j’ai proposé au Conseil Général de l’Yonne, de réaliser l’inventaire et l’état des lieux de tous les édifices religieux du département, pour essentiellement donner une valeur aux objets contenus dans les églises ,pour une meilleure protection en cas de vol ou d’incendie, ensuite, pour faire le tour des édifices en souffrance qui avaient besoin de restaurations urgentes, et démontrer également que ce riche Patrimoine pourrait être un fabuleux vecteur sur le plan touristique et économique. Malheureusement ce projet n’eut pas de suite pour de simples raisons financières et malgré le réel intérêt du Président du Conseil Général. J’ai compris qu’il en serait de même pour beaucoup de territoires et que seule une équipe de gens bénévoles sauraient réaliser cette lourde tâche. C’était en décembre 2013. J’ai déposé les statuts d’Urgence Patrimoine en février 2014. Nous en avons fêté la naissance le 22 avril en présence d’élus locaux. Le 1er Mai 2014, la page Facebook “Urgences Patrimoine” était créée.

ZF : Quels ont été aussi les premiers acteurs qui ont permis au projet de se concrétiser ?

AS : Le 3 mai un internaute pose “la question”: Urgences Patrimoine est-elle une association à vocation uniquement locale, ou va-t-elle être nationale? Ma réponse immédiate fut plus motivée que réaliste : Urgences Patrimoine devait pour exister, avoir une envergure nationale. La personne qui a posé « la question », n’était autre que la restauratrice de peintures murales, Sabine de Freitas, qui est maintenant la Vice- Présidente d’Urgences Patrimoine (UP). Vous connaissez la suite. Très vite un “noyau dur” s’est constitué, une petite dizaine de personnes intervenait très souvent sur la page UP, puis nous avons échangé via messages privés sur ma page perso. Avec humour, je dirais que c’est en quelque sorte comme “Meetic”. UP est un site de rencontre, pas pour trouver un conjoint, mais pour défendre une passion et des intérêts communs. Le « noyau dur » est constitué de personnes extrêmement qualifiées, des amateurs passionnés, de grands techniciens ou de grands historiens d’art. J’ai été honorée par leur engagement immédiat. Je leur ai demandé: “pourquoi me rejoindre ?” La réponse fut la même pour tous: ils cherchaient un “moteur”, ou quelqu’un d’encore plus “fou” qu’eux.

ZF : J’ai bien noté qu’il y a un S à Urgences et qu’il n’y en a pas à Patrimoine. Il y aurait donc plusieurs urgences et un patrimoine. Quelles sont ces urgences ? Quel est ce patrimoine ?

Message
Message

AS : Les urgences sont partout, donc le “S” est venu naturellement. C’est comme à l’hôpital, vous n’avez pas le service “de l’urgence”, mais “des urgences”. Des urgences pour bien des “pathologies”. Des urgences pour la sauvegarde, des urgences pour les restaurations, des urgences contre les destructions, des urgences contre l’oubli, tout simplement. Le Patrimoine (je mets toujours une majuscule), est tout ce qui raconte une histoire, tout ce qui peut évoquer un souvenir et qui se fait le témoin du travail et du quotidien d’une civilisation, d’un pays, d’une région, d’un village… des gens qui habitent. Toute “trace” peut être Patrimoine, et tout Patrimoine est une trace. Le Patrimoine est en quelque sorte l’ADN du contemporain.

ZF : La page facebook Urgences Patrimoine est lancée en mai 2014. C’est déjà plus de 50 délégués en France après seulement trois mois de recrutement, et des représentations en Italie, en Espagne et au Portugal… Vous aviez pensé national, vous traversez les frontières. Pourquoi un tel engouement ?

AS : Le Patrimoine est devenu depuis quelques années un sujet “populaire”. Dans une société commandée par le “jetable”, le Patrimoine redevient une valeur fiable. Il est là. On peut en profiter sans l’acheter. En s’engageant pour la sauvegarde du Patrimoine, on a un moyen efficace de ne pas perdre pieds, de rester attacher à son histoire, et de ne pas se perdre dans le monde “aseptisé”, neutre, insipide, incolore inodore. Le Patrimoine est vivant, coloré, odorant… Il a cette extraordinaire faculté de rassembler ceux qui l’aiment.

ZF : Vous dites que les personnes qui ont rejoint UP, viennent d’horizons différents, qu’ils ont des âges différents, des parcours différents, des cultures différentes, et que ce sont ces différences qui font la richesse de l’association. Ils ont 16 ans, 25 ans, 40 ans, 70 ans… Ils sont étudiants, artisans d’art, clercs de notaires, fonctionnaires, demandeurs d’emplois, avocats, architectes, retraités… mais ils ne forment qu’une seule et même entité, car ils sont animés par une passion commune: la sauvegarde du Patrimoine. Avez-vous quelques mois plus tard une première réponse quant à l’intérêt patrimonial de vos adhérents et amis par tranche d’âge ?

AS : Le Patrimoine a perdu son image “poussiéreuse”. C’est un sujet “d’actualité” qui maintenant touche toutes les couches de la population. Jeunes, moins jeunes, de tous les horizons sociaux et culturels. Cela ne m’étonne pas que déjà 54 délégués départementaux soient prêts à agir sur le terrain. Je pense même qu’en fin d’année, nous aurons couvert l’ensemble du territoire français. C’est ce qu’il faut : l’action dans la proximité, est synonyme d’efficacité. Pourquoi, ils sont si nombreux à nous rejoindre ? Il n’y a pas que l’engagement. L’intérêt suffit. La moyenne d’âge de nos amis Facebook est d’environ 30 ans (de 16 à 70 ans). Je pense simplement que la passion est comme le Patrimoine, qu’elle n’a pas d’âge.

ZF : Vous parlez du désengagement de l’Etat (et vous avez raison, on ne peut que le constater amèrement). Je pense pourtant que le respect du patrimoine est à plusieurs échelles : le patrimoine individuel, familial, le patrimoine d’un quartier, d’un bourg, d’une ville, d’une commune, d’une région, d’un pays, d’une communauté d’Etats, d’une région géographique, le patrimoine mondial… et j’en passe. Il n’y a à mon sens, ni excès, ni insuffisance dans la protection du patrimoine bâti, mais plutôt un déficit de réflexion sur la bonne façon de penser et d’appréhender ce patrimoine. Toute construction humaine a une valeur mémorielle. Cette valeur est comprise par un petit ou un grand nombre de personnes. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait qu’à chaque niveau, il y ait d’abord la réappropriation de son propre patrimoine, pour qu’il soit plus aimé, donc mieux respecté et protégé ?

Même les entrepreneurs s'y collent - Photo UP
Même les entrepreneurs s’y collent – Photo UP

AS : C’est aussi à ce problème de “méconnaissance” que nous allons œuvrer. Il y a beaucoup de gens de bonne volonté qui sont prêts à faire beaucoup de choses, et UP, à bien l’intention d’apporter son aide pour la mise en place de projets, ou tout simplement, agir à titre de conseil pour tous ceux qui le souhaitent. Il y a d’abord un problème de “désinformation”, et il faut absolument que nous soyons présents au côté des élus, et de tous les propriétaires, publics ou privés, désireux de mieux transmettre aux générations futures, chaque empreinte du passé. C’est déjà une façon d’aider à la réappropriation de son propre patrimoine.

ZF : À la lecture des différents postages des personnes qui ont rejoint UP, on trouve d’abord des églises, des vieux châteaux, des pseudo-châteaux, des halles, quelques bâtiments et structures industriels. On lit : c’est un scandale ! Comme si ces seules architectures représentaient notre culture. N’avez-vous pas aussi une lourde responsabilité quant à l’entendement de la notion de patrimoine et de ce qu’est le patrimoine ? Quels sont vos projets à ce titre ?

Les cheminées de La Manufacture d'armes de Châtellerault - photo François Lison
Les cheminées de La Manufacture d’armes de Châtellerault – photo François Lison

AS : Je pense que notre responsabilité est ailleurs. Notre responsabilité est peut-être de rendre “accessible” la notion de Patrimoine pour que chacun se sente de plus en plus impliqué par rapport à ce vaste sujet. Le Patrimoine pour moi englobe tout ce qui “raconte une histoire, notre histoire”. Alors vous avez sans doute raison, nous devons “ouvrir” nos partages de publications à d’autres sujets. Cela dit, nous le faisons déjà un peu. Vous savez, tout est perfectible.  Nous sommes là pour défendre le Patrimoine. Nous ne faisons pas de politique, et nous sommes prêt à aider à remettre debout les édifices de tous les cultes. Il est vrai que le Patrimoine religieux chrétien de la France est celui qui a subi le plus de dommage, puisqu’il est plus présent. C’est la loi du nombre. Je refuse surtout de voir nos paysages défigurés (par simple méconnaissance, ou par intérêt mercantile), un pays transformé en un vaste parking.

Maquette de la Muette - cliché anonyme
Maquette de la Muette – cliché anonyme

ZF : Anne Bourgon, architecte urbaniste de l’Etat (en évoquant la cité de la Muette) écrit : “Nous pouvons considérer que si la Cité de la Muette disparaissait, cela n’entraînerait pas forcément une déficience de mémoire (…) Les photos du chantier de la construction, dont les techniques de mise en œuvre étaient innovantes (il s’agissait d’un système poteau-poutre, les panneaux de façade y étant fabriqués en usine et assemblés sur place), montrent le profil d’un bâtiment dont le squelette laisse supposer une certaine esthétique de la ruine. Il est aisé de comprendre que celle-ci frapperait davantage les esprits que le bâtiment dans sa forme actuelle”. Je suis à ce propos en accord avec Anne Bourgon. Il me semble qu’il n’y a pas lieu de tout conserver et que le plus important est de conserver la trace. Des notes, des croquis, des photos… peuvent suffire. Qu’en pensez-vous ?

AS : Votre question est très actuelle pour moi. Récemment, j’étais à Paris pour voir l’exposition consacrée à Viollet-le-Duc. J’ai aimé, car j’aime toutes les choses qui me racontent une histoire. Cependant, j’ai trouvé que cette expo était trop technique. J’aime les volumes, j’aime voir, j’aime marcher sur des traces et devenir un peu l’actrice de l’histoire, pas uniquement son témoin. Les maquettes m’ont plu, les quelques rares objets aussi… J’aime par-dessus tout, la peinture, mais pour moi Viollet-le-Duc est d’abord synonyme de matière, de volumes, de couleurs… Viollet-le-Duc a osé, a provoqué même (qu’on n’aime ou pas). Il a su susciter un intérêt certain pour la question patrimoniale en son temps, Pourtant, dans cette exposition, il m’a manqué la “présence”. Une belle expo, mais dénuée de vie. Pour moi, le Patrimoine est vivant. Il est accessible à celui qui sait le voir et surtout l’aimer.

Je vais prendre des exemples volontairement exagérés :

Croyez-vous que des millions de touristes viendraient en France pour voir des cartes postales ou des plans de la tour Eiffel ?  Se déplaceraient-ils pour voir uniquement une maquette du Château de Versailles ?  Non, chaque être sensible à besoin de voir, de sentir, de toucher, de s’imprégner d’un lieu. 

Et encore : Croyez-vous que parce que vous avez un jour mangé une très bonne choucroute, ou bu un vin d’exception, le souvenir seul du goût vous suffise ? Votre réponse à mon avis restera négative. Vous aurez envie d’en remanger et d’en  boire à nouveau.

A l’heure où on essaie de tout faire en 3 D pour être plus proche du volume justement, certains voudraient tout mettre à plat ? Quel intérêt ? Economique ? Parce que l’entretien du Patrimoine coûte cher ? Pourquoi ne pas envisager des « reconversions intelligentes et honnêtes » ? D’accord, nous avons besoin de logements sociaux, de maisons de retraite, de bâtiments administratifs, culturels ! Et alors ?  Nous avons toutes les « matières premières »: anciennes casernes, anciens hôpitaux, Châteaux, églises désacralisées… les entreprises de BTP auraient tout autant de travail avec de l’ancien !

Attention, je ne suis pas contre la réalisation de constructions contemporaines. Je suis tout simplement contre la politique du “je casse tout et je m’en fous”. C’est pour moi, un manque de respect envers ceux qui ont bâti, puis transmis…. Oui, la première mission d’Urgences Patrimoine est d’aider à sauver ce qui existe. Des notes, des croquis, des photos, des représentations en 3D… c’est utile et même indispensable, mais ce n’est pas suffisant.

ZF : Quelles urgences ? N’avons-nous pas le risque, à trop vouloir, de ne pas suffisamment pouvoir ?

AS : Comme je le dis souvent, nous sommes des passionnés, mais hélas pas des magiciens. L’idée principale d’UP est de développer le nombre de ses délégués, pour vraiment agir au plus près des “urgences”. Le rôle d’un urgentiste n’est pas de savoir s’il faut ou non sauver la personne. Son rôle est de prendre en charge le malade, de donner les premiers soins permettant d’engager le processus médical. Après, selon la nature du mal à soigner, d’autres spécialistes interviendront. L’autre idée, c’est de rassembler un maximum d’acteurs (les associations, les fondations, les élus, les particuliers…) autour de notre projet, car “l’union fait la force”, la force de sauver.

Enfin, j’aimerais que Urgences Patrimoine devienne un médiateur entendu. Cela vient. Il n’y a qu’à laisser le temps au temps.

L'auteur : Xavier Guillon

Rédacteur en chef et en os et profiteur d’espaces, il aime l’urbain et le crie haut et fort. En secret, il rêve de nature et prend régulièrement les chemins vicinaux.

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