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Dans le quartier des Pommeraies en novembre 2016 - Photo Bénédicte Mallier

Ici comme ailleurs, l’urbanisme se joue avec les habitants

“Je ne suis ni photographe, ni peintre, ni écrivain, ni ceci, ni cela. Je ne suis par artiste, je suis architecte. Je n’habite pas le quartier. Ici je voyage” nous dit Bénédicte Mallier. Et c’est bien ce que l’on comprend à la lecture de son carnet. Un carnet que je voulais vous présenter, car pour l’architecte, il est primordial d’impliquer les habitants dans la construction de nouveaux projets architecturaux et d’urbanisme. Et que cette résidence dans un quartier découle bien évidemment de ce principe.

‘Ici comme ailleurs’, c’est le cahier de voyage que l’architecte a constitué lors de sa résidence dans le quartier des Pommeraies à Laval. Sur son blog, elle en présente le cadre : “Cela se passe au quartier des Pommeraies, une ZUS, comme on dit dans le jargon. Quatre-vingt jours de présence, de rencontres fortuites et d’ateliers collectifs pour arpenter le quartier, observer, ressentir, partager, retranscrire.” Toute l’idée est dans cette formulation-là. Le quotidien fera le reste.

Interroger ces espèces d’espaces du quotidien

Le 11 janvier 2017
Le 23 janvier 2017
Le 17 février 2017
Le 4 avril 2017
La carte du quartier à vue de nez

Ça, c’est ce qui est généralement dit lorsqu’on évoque ‘Ici comme ailleurs’. Mais ce n’est pas suffisant. Il faudrait ajouter que Bénédicte Mallier conçoit l’urbanisme avec les mots de Georges Perec. Un vocabulaire qu’elle connait bien puisqu’elle a rédigé en 2009 un mémoire de recherche sur l’écrivain, intitulé ‘vers une architecture de l’infra-ordinaire’. Et là, bien sûr, il nous suffit d’un extrait de ‘Espèces d’espaces’ de Perec pour nous transporter directement dans sa façon de penser l’urbanisme : “L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça cogne. Nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d’espace. Le problème n’est pas d’inventer l’espace, encore moins de le ré-inventer (trop de gens bien intentionnés sont là aujourd’hui pour penser notre environnement…), mais de l’interroger, ou, plus simplement encore, de le lire; car ce que nous appelons quotidienneté n’est pas évidence, mais opacité : une forme de cécité, une manière d’anesthésie.”

Construire la carte du quartier à vue de nez

L’idée de la résidence dans le cadre du projet “Quartiers en Scène” de la ville de Laval était de “valoriser le quartier” selon les termes de Didier Pillon, l’adjoint au maire en charge de la culture et du patrimoine, mais aussi de permettre à la population de mieux s’approprier son quartier et pour cela “de l’arpenter par groupes, des enfants la plupart du temps, des enfants et les adultes qui les accompagnent ; de marcher, d’observer, de dessiner des cartes, ensemble. Plusieurs cartes. Une par groupe. Et puis une seule qui réunirait toutes les autres. La carte du quartier à vue de nez. À hauteur d’Hommes. Et quelle que soit leur taille” ajoute l’architecte. Ce voyage d’une architecte “est alors “un pré-texte. Prétexte pour lancer les discussions, arpenter les lieux, questionner les perceptions: Carnets de route, cartes sensibles, cartes postales, récits de voyages…”, un moyen de rencontrer et de mieux comprendre “un quartier coupé du centre de la ville par des rails de chemin de fer”.

Saisir un lieu au bout d’un crayon

Cela fait dix jours que Bénédicte Mallier marche “partout” dans le quartier. Elle est heureuse. Pourtant elle râle aussi parce que, dit-elle : “après toutes ces années, c’est incroyable de ne toujours pas saisir un lieu au bout d’un crayon”. Et puis, quelques jours après elle découvre que “les limites du quartier sont moins franches au ras du sol que sur un plan, et qu’en fonction de ce qu’on vient y faire et du temps qu’on y passe, le quartier s’étale ou se rétracte”. Des remarques comme celle-ci, elle en fera de nombreuses autres. Dans une très belle journée de décembre, elle remarque qu’aux Pommeraies, “on entend les oiseaux, et plus on regarde, plus on voit les arbres”. Quelques jours après, Bénédicte lit que les habitants du quartier sont plutôt nombreux. Pourtant elle ne les voie pas. Alors, elle imagine que quand elle “marche dans leurs rues dans la journée, eux, ils sont ailleurs : au travail, à l’école, chez eux en train de cuisiner, devant la télé, partis faire des courses…”

Croquer et photographier pour voir mieux, regarder plus longtemps

Le 23 mai 2017

Déjà l’architecte est entrée dans le quotidien des Pommeraies. Il faut maintenant qu’elle marche, qu’elle regarde et qu’elle raconte. “Errer, observer, entendre, sentir, ressentir, et sans arrêt faire des choix. Aller où, par où, dessiner quoi, pourquoi, comment, photographier quoi, pourquoi, comment. Montrer sans mentir. Raconter sans trahir”. Avec la population du quartier, Bénédicte Mallier a pu engager un travail de fond. Elle sait que “chaque conversation est une insondable mine d’informations sur le quartier, ses gens, sa vie, ses usages”. Elle dit mesurer à peine tout ce qu’elle laisse filer et a maintenant la certitude que “n’importe quel professionnel de l’aménagement devrait être obligé de squatter au moins trois semaines dans la salle de pause d’une maison de quartier avant d’entamer un projet urbain, quel qu’il soit”. Cela fait vingt-deux jours que Bénédicte Mallier réside par intermittence dans le quartier des Pommeraies. Elle y séjournera encore quelques mois et chaque jour prendra une photo “Surtout pour comprendre, pour voir mieux, regarder plus longtemps”. Elle ajoute : “Je commence à comprendre que j’accumule, au fur et à mesure, presque sans m’en rendre compte, les nombreuses pièces d’un inventaire qui ne finira pas. Une sorte de récit à travers les objets, bâtis pour la plupart. Cela n’annule pas les Hommes. Au contraire, je cherche à saisir, un peu, ce que ce choses peuvent dire des gens qui les conçoivent, les façonnent, les utilisent et se les approprient.”

Le 15 juin 2017, Bénédicte Mallier s’arrête. “Je ne marcherai plus dans le quartier” dit-elle. “J’y reviendrai peut-être, je le traverserai sans doute. D’ici là il y aura une nouvelle passerelle, les logements derrière la crèche seront terminés. Tout le monde aura grandi et moi aussi. Je me souviendrai alors de ce que j’ignore encore, de ces détails imprégnés quelque part qui ne se révèleront que quand je serai suffisamment loin.”

Avec les photos de Bénédicte Mallier (article et diaporama)

Voir son blog : https://zoneurbainesensible.wordpress.com/a-propos/

L’observatoire d’urbanités ordinaires

Le projet : Dans le cadre de l’opération « Quartiers en scène », Bénédicte Mallier, architecte en résidence, a accompagné pendant plusieurs mois les acteurs et habitants du secteur nord de Laval. Fruit d’un travail participatif mûri au contact des tout-petits en crèche, des enfants scolarisés sur le quartier ou des jeunes de l’Institut Médico-éducatif, ainsi que de ses réflexions personnelles, la jeune architecte nous offre un regard neuf sur le quartier des Pommeraies. C’est cette vision riche et bien souvent poétique que nous vous invitons à partager à l’occasion d’une exposition intitulée « Ici comme ailleurs : observatoire d’urbanités ordinaires ».

Bénédicte Mallier ©Emeline Belliard

Bénédicte Mallier a obtenu son diplôme d’état d’architecte en 2009 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne. Un mémoire-recherche sur Georges Perec, intitulé « vers une architecture de l’infra-ordinaire » rédigé en parallèle de son projet de fin d’études lui permet d’allier sa sensibilité à la littérature et aux sciences sociales à une approche distanciée des processus de conception en architecture. L’œuvre de Perec la conduit à axer ses recherches sur la poésie de l’espace, la sociologie du quotidien et la question de l’usage en architecture. Elle poursuit ses recherches à l’école d’architecture de Paris-La-Villette au sein du LET, laboratoire de recherche essentiellement habité par des architectes et des sociologues. Nouvelle ville, nouveaux possibles, nouveaux champs méthodologiques. et rejoint l’équipe de rédaction de la lettre d’information du réseau RAMAU (Réseau activités et métiers de l’architecture et l’urbanisme). Et puis, elle a ensuite travaillé pour le Conseil de Développement de Haute-Mayenne qui l’a engagé pour finaliser un projet de Charte Paysagère et Urbanistique du territoire. Elle est aussi membre du bureau de Payaso Loco, association d’éducation populaire basée à Pré-en-Pail en Mayenne (www.payaso-loco.com). En avril 2013, en étroite collaboration avec les différents responsables associatifs du collectif 2-4, elle monte la première édition du festival “Habiter Là – Actions de sensibilisation à l’architecture et à l’urbanisme participatifs en milieu rural” qui ouvre le dialogue avec la population, met en place concertation et conférences, des propositions artistiques et un chantier participatif. En 2014, elle fonde Le Cabinet d’Émile R., structure professionnelle qui se propose d’accompagner la prise en compte de la maîtrise d’usage dans les projets d’architecture et d’urbanisme à travers des actions de sensibilisation, de médiation, la mise en place d’ateliers de concertation et de chantiers participatifs et qui poursuit la programmation du festival “Habiter Là”. C’est grâce à “Habiter là” que j’ai découvert le travail de Bénédicte Mallier. Depuis je suis un peu plus régulièrement son travail. Je l’ai alors accompagnée lors de ses publications journalières et c’est ainsi que j’ai découvert le quartier de la Pommeraie à Laval. Ce qui la passionne : impliquer les habitants dans l’élaboration et la construction de nouveaux projets architecturaux et d’urbanisme.

L'auteur : Xavier Guillon

Rédacteur en chef et en os et profiteur d’espaces, il aime l’urbain et le crie haut et fort. En secret, il rêve de nature et prend régulièrement les chemins vicinaux.

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