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C’est dans la remise !

On les trouve encore quelques fois dans nos campagnes et parfois même en ville, mais bientôt nous en perdrons le souvenir. Un passé encore une fois s’efface. Ces remises racontent pourtant bien des choses. Elles appartiennent à notre patrimoine éphémère.

En sa qualité d’architecte, Hélène Bernard est sensible à l’apparence. Plus encore, elle perçoit les constructions avec intensité, pour mieux saisir leurs forces, leurs faiblesses et leurs secrets. Dans sa conception, “traces d’usure, rides et fissures sont l’expression de la vie et de l’histoire des choses, des êtres ou des bâtiments”. Pour elle, “la marque du temps est une stimulation permanente. Observées en détail, les surfaces érodées par les intempéries se laissent à loisir redécouvrir et recombiner. Elles sont sources d’inspiration. Mais les surfaces lisses constituent un défi tout aussi grand – une stérilité qui attend d’être animée”.

Semer le doute

La remise de Monsieur Tulasne avant déconstruction
La remise de Monsieur Tulasne avant déconstruction

Aussi pour Hélène Bernard, ces annexes à notre vie de tous les jours “montrent que la vie a gagné” et elle le met en lumière. Ces simples constructions ajoutent quelques détails à la vie de famille. Elles expriment l’origine et la fin d’inventivités domestiques. Elles sont encore à la genèse d’un projet. Il aura suffi de rencontrer “la remise de Monsieur Tulasne”, pour qu’en février, Hélène Bernard adresse son premier message : “La remise de Monsieur Tulasne aurait dû être démolie. Le vent, la pluie et son utilisation intensive durant des années ont laissé des traces. Je propose de l’extirper de son environnement, une arrière-cour désordonnée dans une commune rurale pour la poser, en pleine ville, sur une place lisse, un lieu de représentation. Mon intention est de semer le doute”. Mais il n’y a là que constat et intention première. Il reste à en préciser la raison. C’est chose faite dans son deuxième manifeste : “ Dans les campagnes, les remises en tôles rouillées sont très nombreuses. Beaucoup se ressemblent, mais aucune n’est identique. Fabriquées à partir de matériaux de récupération à portée de main, chacune d’entre elles est le fruit de l’ingéniosité de celui qui l’a construite. À l’inverse, les formes et les surfaces de nos villes s’uniformisent et pour faire face à toute sortes de dangers, elles se sécurisent, s’aseptisent et laissent peu de place à l’expression des individus, chacun pourtant différent et irremplaçable. Quant à nos objets de tous les jours, leur standardisation à l’échelle mondiale normalise nos intérieurs et nos jardins. Quelle place reste-t-il pour le citoyen contributeur dont parle le sociologue britannique David Gauntlett (1) ?

Affirmer l’importance de l’acte individuel

Chaque numéro est reporté sur le croquis
Chaque numéro est reporté sur le croquis
En cours de démontage
En cours de démontage

Commence alors un travail d’observation et d’inventaire. Des esquisses à main levée sont réalisées. Elles serviront à dessiner les plans d’exécution de la “coque”. Toutes les pièces sont inventoriées, numérotées et chaque numéro est reporté sur une copie du dessin correspondant à la façade à laquelle appartient la pièce. Un vrai travail d’archéologue. Aujourd’hui, la remise de Monsieur Tuslasne a été minutieusement démontée pièce par pièce. Une documentation a été réalisée. Elle rassemble, esquisses, plans, cotes, observations, photos, conversations, vidéos et la petite histoire d’habitants d’un bourg qui ont participé à cet événement hors du commun. Les pièces ont été transportées et entreposées bien loin de leur lieu de vie, dans la perspective d’une “surprise urbaine”. La remise attend preneur. Elle espère sa prochaine “plantation” sur une place urbaine, pour mieux justifier par l’exemple comme l’écrit un membre du “groupe facebook – La remise de Monsieur Tulasne”, que “l’uniformité et l’humanité sont deux aspects antinomiques”. “Lorsque nous construisons les villes, prenons nous suffisamment en compte les besoins de l’Homme ?” C’est l’essentielle question que pose l’architecte urbaniste Hélène Bernard. Elle est suffisante et sérieuse.

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Un événement qu’il ne faudra surtout pas manquer, tant l’effet marquera l’espace et le public, tant la présence d’une “remise d’un habitant d’ailleurs” devrait nourrir l’imaginaire et réveiller les souvenirs.

 

Photos : Hélène Bernard

 

1 – David Gauntlett, professeur de créativité et de design à Westminster School of Media, Arts et Design, est sociologue et théoricien des media. Il explore les façons dont les chercheurs peuvent embrasser la créativité quotidienne des gens afin de comprendre l’expérience sociale. Universitaire de premier plan, il a passé sa carrière à se livrer à des activités de recherche qui ont délibérément impliqués le public.

 

L'auteur : Xavier Guillon

Rédacteur en chef et en os et profiteur d’espaces, il aime l’urbain et le crie haut et fort. En secret, il rêve de nature et prend régulièrement les chemins vicinaux.

2 commentaires

  1. « Remiser ses préjugés » – Une conférence d’André Sauvage – Semaine de l’architecture à Lorient
    ”Remiser ses préjugés, nous dit André Sauvage, c’est un titre inspiré de Jean-Jacques Rousseau qui disait qu’il préférait un homme à paradoxes plutôt qu’un homme à préjugés. Je serais donc partial, partiel, je ne qualifierai ni d’incongrue, ni d’impertinente, ni d’importante cette présence de la remise sur la place. J’essaierai plutôt de capter les sens faibles sémantiquement, les apostrophes non écrites mais perceptibles que cette bâtisse-là nous adresse. Constatons d’abord que, comme la Tour Eiffel, la Remise de Monsieur Tulasne aurait dû être démolie. On peut être agressé par l’installation de la baraque, on peut considérer que cette mise en scène est insensée. Hélène en artiste, en a détourné le destin prévu. Mais Tour Eiffel et Remise, toutes les deux, évoquent des souvenirs, suscitent des émotions, des prises de positions, provoquent des tensions qui partage le public entre pro et anti baraque (…)”
    Une conférence à réécouter sur :
    https://soundcloud.com/h-l-ne-bernard-2/conference-remise-de-mr-tulasne-lorient?utm_source=soundcloud&utm_campaign=share&utm_medium=Facebook

  2. La remise de Monsieur Tulasne, une installation artistique éphémère d’Hélène Bernard
    Suite au décès de Monsieur Tulasne, le nouveau propriétaire se faisait une joie de raser sa remise. Connaissant le travail de la plasticienne Hélène Bernard, il lui dit en rigolant : « je te la donne », sans s’attendre à ce qu’elle le prenne au mot et la transplante sur la place de l’Hôtel-de-ville à Lorient sous le regard amusé de son maire Nobert Maiterie.
    Voir le film :
    https://youtu.be/6F7OiG8C8do

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