Pendant plus de trente ans, Thibaut Cuisset a interrogé des pays, des paysages et des panoramas. Mieux, il les a d’abord observés, pour nous les restituer plus justement. Il le dit dans un entretien avec la journaliste Yasmine Youssi pour “D’Architectures” en 2005 : “dans un monde saturé d’images, j’essaie de ne pas trop en rajouter, tout en gardant un regard poétique”.
Bref, il est aujourd’hui reconnu pour le traitement de ses photos de paysages. Il se fait notamment remarquer pour son traitement des couleurs. Aux rouges vifs, il préférait les tons pastel ; en photographiant dans des teintes douces et retenues il bousculait les codes. À la lecture du travail de Thibaut Cuissé deux mots ressortent d’abord, les mots “campagne” et “temps”. Deux mots qu’il faut entendre dans cet ordre car ses séries photographiques se construisent par campagnes et dans le rythme du temps qu’il faut bien prendre dans son ensemble. Cette façon de photographier, le photographe l’a développée en arpentant les paysages qu’il se devait de photographier pour répondre aux commandes. Mais encore, c’est en revenant aux sources de l’impressionnisme que le photographe Thibaut Cuissé s’approprie le terme “campagne de peinture” inventé par Monet qui considérait que le peintre devait mener une véritable bataille avec les éléments, la météo, la lumière et le temps, pour arriver à ce qu’il voulait extraire du paysage.
Photographier, c’est ‘dire’ un pays
Pour Thibaut Cuisset “photographier, c’est voyager”. Il le disait : “ mon écriture photographique passe par ce désir de ‘dire’ un pays à travers ses paysages”. Et c’est dans les années 80 qu’il débute son voyage lorsque la Mission photographique de la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) – entre 1983 et 1989 – lui passe une commande publique d’une vingtaine de photographies dans l’objectif de représenter le paysage français des années 1980 (un événement qui fait date dans l’histoire de la photographie de paysage). Ce que l’on retient alors de son travail : un talent à conjuguer rigueur documentaire et qualités esthétiques. En 1994, l’Observatoire photographique du paysage, créé deux ans plus tôt par le ministère de l’environnement, l’invite à rejoindre une équipe de géographes, de paysagistes et d’agents territoriaux pour travailler sur des problématiques paysagères par l’observation régulière de différents sites. Il est chargé alors de porter un regard artistique sur la campagne et le littoral des Côtes-d’Armor ; en suivant une rigueur scientifique, il s’obligera dans son travail à respecter des protocoles rigoureux. Il notera l’heure, la saison, la localisation de l’image dans le but de retrouver le même point de vue l’année suivante. Ce sera une campagne photographique qu’il reconduira deux ans durant selon quarante points de vue. C’est le côté géographe du personnage.
… Jusqu’à parvenir à une sorte de concentré de paysage
Il y a pourtant bien plus à en dire ; et déjà simplement ce qu’ajoute le photographe lui-même sur son travail : “j’ai travaillé le paysage dans tous ses états. Cela m’a porté vers des lieux alors jugés sans qualité, tels ces paysages intermédiaires à mi-chemin entre le centre-ville traditionnel et la ruralité (…) J’ai voulu ajouter une expérience esthétique autour de la couleur. La couleur est l’un des paramètres. Elle est nécessaire mais pas suffisante (…) J’essaie de recevoir un paysage et de le retranscrire le plus précisément possible, sans trahir l’esprit du lieu. Il y a dans mon travail l’idée d’épure. D’où, parfois, cette lumière zénithale très forte et très claire qui élimine les ombres et donne un sentiment d’éblouissement. Je choisis des couleurs dans des tons camaïeux, en évitant les couleurs heurtées qui pourraient être anecdotiques. Pour ce qui est du sujet, je tente d’aller à l’essentiel, en cherchant la distance la plus juste. Jusqu’à parvenir à une sorte de concentré de paysage”.
Les chemins ouvrent le paysage
On remarque aussi que les paysages photographiés par Thibaut Cuisset sont souvent traversés par des passages ; ce sont des chemins, des passes même. Ils sont nourris de sable, de caillasses, habillés de bitume, en herbe ou en eau. L’artiste le dit, leur importance est forte, ce sont des chemins qui le guide, qui évoquent aussi l’errance, ce sont eux qui l’emmènent à la découverte du paysage qui va être photographié. Toutes ces traces bien marquées permettent au photographe de s’approcher. Pour Thibaut Cuisset, “le paysage nécessite une certaine lenteur, une observation minutieuse, une contemplation”. C’est ainsi ajoute le photographe “que je travaille sur un même lieu, un même site, un même paysage, mais avec des lumières différentes.
Ce qui m’intéresse, c’est le rapport entre nature et culture ; comment l’homme habite et façonne son territoire. La couleur, je l’utilise dans le respect de ce que je vois (j’essaie d’être le plus possible fidèle à la chose regardée) mais aussi pour épurer (garder l’essence) et éliminer (ce qui est inutile à la lecture). Ce travail est à tous les niveaux ; dans la composition d’abord, puisque dès que le paysage est fragmenté, il se fait un concentré de paysage qui ne doit pas non plus dénaturer le lieu. Ensuite j’élimine le trop d’information, mais aussi des lumières. Je préfère les lumières assez hautes ou les temps couverts qui évitent les ombres portées beaucoup trop importantes. Ce sont pour moi, ces lumières-là qui sont les plus justes possibles, qui restituent le mieux”.
À la lecture d’autres articles sur le photographe, on peut lire encore que Thibaut Cuisset s’appliquait à représenter de façon puissante et discrète, l’essence du paysage, et que ses panoramiques miniatures seraient des formidables compositions mêlant des mouvements de terrain, de ciel et d’eau. Quoi dire de mieux.
Le photographe
Né à Maubeuge, le 19 mars 1958 et décédé le 19 janvier 2017 à Paris, Thibaut Cuisset s’est consacré, dès les années 80, à la photographie de paysage à travers le monde, de la Namibie au Japon, en passant par le Venezuela et la Syrie, mais aussi en France (Corse, Bretagne, Val de Loire, Normandie, Hérault…). En 1983, il est chargé (avec une vingtaine d’autres photographes, dont Robert Doisneau) par la Mission photographique de la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale), de représenter le paysage français des années 1980 En 1992, il est pensionnaire de la Villa Médicis à Rome.Depuis, il n’a cessé depuis d’interroger le paysage pour de nombreuses institutions intéressées par son talent à conjuguer rigueur documentaire et qualités esthétiques. En 1994, l’Observatoire photographique du paysage, créé deux ans plus tôt par le ministère de l’environnement, l’invite à rejoindre une équipe de géographes, de paysagistes et d’acteurs locaux pour travailler sur des problématiques paysagères par l’observation régulière de différents sites.En 2015, il fut lauréat du Prix Résidence pour la Photographie de la Fondation des Treilles (Paris). Auteur d’une dizaine de livres, il a reçu le Prix de la Photographie de l’Académie des Beaux-Arts en 2009 et celui de la fondation des Treilles en 2015. Ce que l’on peut retenir de lui, c’est que c’est un grand photographe du paysage qui n’a cessé d’arpenter le monde pour capter l’empreinte de sites extraordinaires.
Livres
Paysages d’Italie – texte Olivier Bonfait, Éd. Villa Médicis, 1993
Les Bouches de Bonifacio – collection Littoral, Éd. Marval, 1995
Le Temps du panorama – texte d’Olivier Bonfait, Éd. Filigranes, 1996
Thibaut Cuisset, Photographies : En Plein midi – texte de Laurent Martin, Éd. Galeries photo Fnac, 2001
Campagne Japonaise – texte de Jean-Christophe Bailly, Éd. Filigranes, 2002
Le dehors absolu – texte de Philippe Lacoue Labarthe, Éd. Filigranes, 2005
La rue de Paris – texte de Jean-Christophe Bailly, Éd. Filigranes, 2005
Un Hérault contemporain, regard sur un département (mission photographique) – texte de Gilles Clément, Éd. Antéprima, 2007
Une campagne photographique – texte de Gilles A. Tiberghien, Éd. Filigranes, 2009
Nulle part Ailleurs, La Bouilladisse – texte de Jean-Christophe Bailly, Éd. Images en manœuvres, 2011