C’est un sujet bien délicat que d’aborder le quartier. Comment le laisser vivre et en même temps préparer son avenir. Tout le monde le sait, le quartier est un rythme dans la cité. Régulièrement, on en prend les mesures. Le quartier est au cœur de la ville, des pensées. Il faut qu’il vive.
Mais d’une façon générale l’habitant n’est pas metteur en scène. Le quartier s’organise en amont. La participation citoyenne n’est alors qu’un artifice destiné à seulement donner apparence. En réalité, le quartier est sous contrôle et aujourd’hui certainement bien plus qu’hier. Conscients de cet état de fait, les services urbains abusent de la communication pour que les habitants adhèrent au projet social. Leurs appels font rêver : “Graines de changement”, “Enjardinez-vous !”, “Ma rue en fleurs”, “Végétaliser Paris”. Le quartier ne serait plus qu’un jardin qui obligerait l’habitant à semer et entretenir. Oui mais, est-ce suffisant ? Si le quartier est un jardin, encore faut-il l’apprécier dans son ensemble.
Le quartier est un jardin
Chaque jardin est d’abord beau pour le jardinier qui l’a conçu, parce qu’il l’a conçu avec de vraies raisons, que chaque chose dans ce jardin est à sa place et surtout parce que ce jardin s’est construit par l’expérimentation. Et oui, le jardin est un laboratoire, le résultat d’expériences. Il en est de même du quartier. Dans ce quartier, le jardinier c’est l’habitant. Il n’est pas là pour seulement adhérer à une démarche participative. Il veut profiter des fruits de son quartier. Et les fruits de ce quartier, c’est la qualité sociale qui respire. Ainsi le quartier devrait se cultiver à la manière des jardiniers. Ce qui donnerait en transposant les propos de Gilles Clément : Mon quartier et les voyages sont les deux sources d’enseignement pour moi. J’observe beaucoup ce qui se passe dans le quartier, puis j’argumente. Je fais des constats, ce n’est pas idéologique. Je me rends compte que l’idée d’une maîtrise du quartier par l’homme est illusoire et dangereuse. Il faut laisser faire, aller dans le sens des énergies en place, et non contre. C’est du « bon sens ». Le quartier transforme et invente sans arrêt (1).
Un jardin pour quoi faire ?
Mais pour se nourrir, bien évidemment. Pour profiter et pour partager aussi. Alors dans mon rêve, je fais vivre l’atelier-laboratoire qui dans chaque quartier pourrait naître. Ce serait un lieu ouvert à tous, mais surtout un lieu dédié à la vie du quartier. Un espace de création, un bureau d’étude où chacun viendrait pour proposer et concevoir. À la porte une boîte à idées (pour les plus timides) et dans la salle un grand tableau noir à volets comme il y en avait jadis dans les classes. Dans la pièce, des grandes tables de travail et puis des groupes autour de chacune. En fait, cela se passe comme lorsque dans un théâtre, une classe ou une association, on élabore un projet et on le met en place. Il y a ceux qui ont l’idée, ceux qui la réécrivent, ceux qui la mettent en scène, ceux qui imaginent le décor et ceux qui fabriquent. Ce qui permettra au spectateur d’entrer dans le paysage imaginé.
Des jardiniers qualifiés
À l’origine de l’aventure, le local dans lequel tous ces gens se rencontrent n’était pas bien chic, c’était même un ancien atelier que la mairie avait hâte d’abattre. Malheureusement, elle n’avait pas le budget pour le faire. Alors, il était toujours debout bon an, mal an. Et tant mieux.
Ceux qui sont là sont dans une autre partie de leur vie, poètes, architectes, artistes, comédiens, jardiniers, ingénieurs, techniciens, commerciaux, écrivains, chômeurs, infographes, scientifiques, contestataires, profiteurs, designers, professeurs, biologistes, artisans… Jeunes ou vieux, d’une façon naturelle, ils ont trouvé leur place dans les groupes constitués. Mais d’abord, ils se sont tous mis à l’ouvrage pour que leur atelier-laboratoire soit visible et lisible. En quelques mois, l’atelier a repris des couleurs. Et tout autour progressivement les choses se sont modifiées. Les vieux se sont rappelés qu’enfants, ils aimaient faire du patin à roulettes dans les rues. Ils ont imaginé faire du roller ou du skate. On a parlé des bancs et du pourquoi ils ne pouvaient pas être fixés au sol. Il a fallu trouver des idées. On a remarqué que dans le quartier, certaines rues avaient des particularités. Certains les aimaient, d’autres pas. Et les commerces, les boutiques fermées, les lieux de rencontre, les places, les jardins, les crèches, les écoles, l’accessibilité… d’autres questions, d’autres réponses. Tout ne s’est pas passé si vite, mais l’atelier-laboratoire avait chaque année un ou plusieurs projets réalisés à fêter pendant que d’autres étaient à l’étude.
Dans ce rêve, il y a bien un modérateur, dites-vous. On dit que son rôle est d’animer et surtout de modérer le forum. Non il n’y en a pas. Pourquoi faudrait-il atténuer ce qui mérite d’être épanoui ?. À l’inverse, ils n’ont pas été nommés, mais sont bien là. Ce sont les décrasseurs de cerveau. Ils sont un peu plus que les candides qui dans les années 80 avaient pour rôle dans les réunions de travail de lancer des idées surprenantes, étonnantes ou farfelues. Ceux-là sont bien utiles.
(1) “Gilles Clément : Jardiner, c’est résister”, une interview de Lorène Lavocat pour “Reporterre” du 20 avril 2014 : “Mon jardin et les voyages sont les deux sources d’enseignement pour moi. J’observe beaucoup ce qui se passe dans la nature, puis j’argumente. Je fais des constats, ce n’est pas idéologique. Je me rends compte que l’idée d’une maitrise de la nature par l’homme est illusoire et dangereuse. Il faut laisser faire, aller dans le sens des énergies en place, et non contre. C’est du « bon sens » (…) La nature transforme et invente sans arrêt.”