“La Loire est donc une rivière
Arrosant un pays favorisé des cieux,
Douce, quand il lui plaît, quand il lui plaît si fière
Qu’à peine arrête-t-on son cours impérieux.
Elle ravagerait mille moissons fertiles,
Engloutirait des bourgs, ferait flotter des villes,
Détruirait tout en une nuit :
Il ne faudrait qu’une journée
Pour lui voir entraîner le fruit
De tout le labeur d’une année,
Si le long de ses bords n’était une levée
Qu’on entretient soigneusement.
Dès lors qu’un endroit se dément,
On le rétablit tout à l’heure :
La moindre brèche n’y demeure
Sans qu’on y touche incessamment ;
Et pour cet entretènement,
Unique obstacle à tels ravages,
Chacun a son département,
Communautés, bourgs et villages.
Vous croyez bien qu’étant sur ses rivages,
Nos gens et moi nous ne manquâmes pas
De promener à l’entour notre vue :
J’y rencontrais de si charmants appas
Que j’en ai l’âme encore toute émue.
Coteaux riants y sont des deux côtés ;
Coteaux non pas si voisins de la nue
Qu’en Limousin, mais coteaux enchantés :
Belles maisons, beaux parcs et bien plantés,
Prés verdoyant dont ce pays abonde,
Vignes et bois, tant de diversité
Qu’on croit d’abord être en un autre monde.
Mais le plus bel objet, c’est la Loire sans doute :
On la voit rarement s’écarter de sa route ;
Elle a peu de replis dans son cours mesuré :
Ce n’est pas un ruisseau qui serpente en un pré ;
C’est la fille d’Amphitrite ;
C’est elle dont le mérite,
Le nom, la gloire et les bords,
Sont dignes de ces provinces
Qu’entre tous leurs plus grands trésors
Ont toujours placé nos princes.
Elle répand son cristal
Avec magnificence ;
Et le jardin de la France
Méritait un tel canal.
Je lui veux du mal en une chose ; c’est que l’ayant vue, je m’imaginais qu’il n’y avait plus rien à voir : il ne me resta ni curiosité, ni désir.”
Extrait de la 3e lettre (du 3 septembre 1663) de Jean de la Fontaine à sa femme rédigée lors d’un voyage de Paris en Limousin pour y retrouver sa famille. Un voyage que j’ai évoqué dans mon ouvrage « Moulismes, bureau des douanes » https://www.les-editions-atmospheres.fr/catalogue/autres-ouvrages/moulismes-bureau-des-douanes-entre-le-comte-du-poitou-et-le-comte-de-la-marche-xviie-debut-xixe-s
L’illustration de Jean-Pierre Dubois dans l’ouvrage « Ces mots qui font paysages » de Xavier Guillon & Jean-Pierre Dubois : une vue sur la levée de la Loire à Bréhémont (37), depuis la cale abreuvoir dite “de la brêche”, qui permet d’accéder au port. https://www.les-editions-atmospheres.fr/catalogue/publications-lea/ces-mots-qui-font-paysages