Juin 2016. Suite à plusieurs jours de précipitations intenses, les cours d’eau entrent en crue. 4 morts, 24 blessés, 20 000 évacuations, coûts des dommages estimés à plus d’un milliard d’euros, entreprises momentanément paralysées, cultures agricoles perdues, voies de transport coupées, problèmes de pollutions… Ce scénario répétitif ne pourrait-il être évité ?
La crue de 1910, en exemple
C’est très sérieusement qu’en France, l’État, les régions, les départements, les communes, les techniciens et les ingénieurs d’agences d’urbanisme travaillent sur l’hypothèse d’une forte montée des eaux. Des mesures, des études, des notes et des rapports sont régulièrement faits. Dans l’un de ces rapports, on lit que pour la seule région d’Île-de-France (qui représente tout de même 29 % du PIB national), une inondation majeure de type de la crue de 1910 coûterait entre 17 et 20 milliards d’euros pour les dommages directs, pour moins de la moitié imputés à l’habitat, et plus du double en tenant compte de la dégradation des réseaux et des pertes d’exploitation des entreprises. Dans une note de février 2011, l’Institut d’Aménagement Urbain (IAU) conclut : “Une montée des eaux à un tel niveau aurait des conséquences majeures, susceptibles d’affecter durablement son économie”.
Le PPRI en canevas d’une résilience
Pour se protéger des inondations liées aux crues des cours d’eau, des solutions ont été imaginées et sont connues des ingénieurs et urbanistes formés dans ce domaine. Création, rehausse ou sécurisation des digues, mise en place ou confortement de déversoirs, augmentation des sections d’écoulements des cours d’eau, création de bassins de rétention, création ou restauration de zones d’expansion des crues, entretien du lit du cours d’eau et de la ripisylve… Il est vrai que certaines de ces solutions nécessitent la mise en œuvre de lourds travaux. Leur coût nous fait peur.
Nous préférons donc que la réduction de la vulnérabilité des biens et des personnes passe par une amélioration de la prévention. Là encore, des outils existent : les Plans de Prévention des Risques Inondation (PPRI) qui limitent l’urbanisation en zone inondable et préservent les champs d’expansion des crues. Ils peuvent même imposer d’agir sur l’existant pour réduire la vulnérabilité des biens. Sont-ils efficaces ? Oui, mais dans la limite où chacun les respecte et garde en mémoire le risque d’inondation. La note de l’IAU citée précédemment ajoute que “La mise en œuvre d’une politique de prévention, la préparation à d’éventuelles situations de crise imposent la mobilisation de tous les acteurs : économiques (chefs d’entreprises, salariés…), grands opérateurs (énergie, transport, télécommunication), mais aussi élus et aménageurs. La sensibilisation et le partage indispensable d’une culture du risque en constituent la première étape”.
Vers de nouvelles façons de construire
Une autre approche est celle de l’architecte urbaniste Roland Castro. Il estime que “ c’est en fonction de la qualité des projets que l’on devrait délivrer ou non des permis, et non de pointillés sur une carte”.
Il semble que l’on ne peut empêcher l’Homme de s’installer en zone inondable. Dès lors, pourquoi (alors qu’il a toujours su s’adapter aux différentes situations auxquelles il a été confronté) n’adapte-t-il le bâti et ses activités afin de réduire leur vulnérabilité ? Maisons sur pilotis, construction de l’espace habitable à l’étage, mise hors d’eau des équipements les plus vulnérables, bassin de rétention en sous-sol, mise en place de batardeaux, diminution des surfaces imperméables… L’architecte Yves Lion précise : “ nous savons construire en zone inondable, seulement cela demande de l’attention, or notre époque n’a eu de cesse de s’affranchir de toutes les contraintes”.
En 2015, les architectes, les paysagistes et les urbanistes ont encore planché sur le sujet lors du Grand Prix d’Aménagement organisé par l’État. À cette occasion, avec son projet “Vers un urbanisme résilient”, l’Agence d’Urbanisme de l’Agglomération de Tours (Indre-et-Loire) a d’ailleurs reçu une mention spéciale (voir note). Pour l’architecte Roland Castro au-delà de ce que nous savons déjà faire, “on peut aussi s’inspirer de projets réalisés à l’étranger : les bâtiments inondables comme le marché de Hambourg en Allemagne, les maisons flottantes de Seattle, les constructions sur pilotis hollandaises… Tout le monde le fait, sauf nous !”
Laissons libre cours à notre imagination et à celle de nos bâtisseurs pour créer les villes et les maisons “inondables” de demain.
Note “Vers un urbanisme résilient” Saint-Pierre-des-Corps par l’Agence d’urbanisme de l’agglomération de Tours (Indre-et-Loire) La commune de Saint-Pierre-des-Corps a reçu une mention spéciale du jury pour ses efforts d’anticipation des crues.
Avec les promoteurs et les architectes, la municipalité travaille sur des formes innovantes en matière d’architecture et d’aménagement. Dans certains quartiers, l’emprise des constructions doit être limitée et l’imperméabilisation des sols compensée.
Photo à la une : Agence de tourisme AVENTURIA / Maisons flottantes dans le Fisherman Wharf à Victoria (Canada). Autres photos : Frank Lavenu / La ville inondée – À Tours, le front de Cher. Xavier Guillon / À Fondettes dans les années 70, les gymnases sont sur pilotis. François Lison / L’agglo de Tours vit avec la Loire.
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