Disparition, c’est une galerie de portraits de pins maritimes coupés, ou plutôt des radiographies de ce qui est resté de l’arbre in situ ; non, c’est une série de photographies sensibles. Ce que la photographe Brigitte Olivier nous montre, c’est toute la vie qui encore (mais pour combien de temps) reste exprimée sur le lieu de vie de l’arbre ; ici Brigitte Olivier arpente une géographie en retrait, celle d’un littoral et d’une forêt.
À propos de Chemin de littoral – une série de Brigitte Olivier ayant reçu le prix Paysages Européens en 1995 – le photographe Thierry Girard écrivait que ses photographies “ne nous disent presque rien du monde” ; il ajoutait : “Il n’y a pas de raison géographique à ces images dont on ne peut même pas dire qu’il s’agit de paysages ; ou alors, appelons-les paysages intérieurs ou paysages génériques”. Peut-être que plus exactement, Brigitte Olivier préfère décrire l’influence des structures éco-paysagères et qu’elle photographie plus exactement “la génétique du paysage”.
Le littoral… Une frontière en recul
Et je vois bien là une raison géographique à son travail, puisque c’est un travail d’anthropologue que la photographe réalise dans Disparition. L’objet de son étude : L’influence de l’Océan dans son rapport à la terre. Et bien que ce soit l’arbre qui est dans sa focale, en réalité c’est de l’homme dont il est question, ou pour le moins de la relation qui existe entre l’Océan et le littoral, de l’existence d’un équilibre entre éléments, et de la relation que l’homme entretient avec l’ensemble ; dans ce territoire détruit, la mer a sapé la dune, les pins ont été violentés ; maintenant fragiles et profondément blessés, il n’y a pas d’autre remède que de les couper. Disparition, nous dit Brigitte Olivier, “c’est un travail (un peu work in progress) dans la mesure où il représente une forêt en train de disparaître, non pas parce que les pins maritimes sont vieux mais parce qu’ils sont en bordure de littoral et que l’avancement de l’océan sur les terres fait intervenir L’ONF par mesure de précaution …” Plus, l’artiste remarque que le littoral est un entre-deux, “une zone tampon, une frontière en recul”.
En lisière de la côte atlantique… une géographie en retrait
Je reprends la lecture de son synopsis :
“C’est par la multitude, le grand nombre d’arbres, que la forêt existe. En lisière de la côte atlantique, la frontière découpe un tracé où le terrain instable est un champ de mouvances variables soumis aux éléments de la nature. À ce point de la Lagune, plus de lagune tant les dunes intermédiaires se sont enfouies sous l’océan. Ce lieu fait partie d’un parcours que je photographie à cette latitude du littoral et que je nomme « paysage de proximité ». Un territoire que je fais mien pour mieux l’identifier en tentant régulièrement de nouvelles lectures de cette géographie en retrait. Sur un point un peu élevé, en lutte avec l’érosion et les hommes, les rangées de pins maritimes ne sont plus que les vestiges d’une figuration fugitive. Pour quelques-uns, cent vingt peut-être, il reste des racines profondes et une face de sève claire troublante donnant toute son expression vers le ciel.”
Ce lieu dont parle Brigitte Olivier est un point du littoral situé au sud du bassin d’Arcachon. Territoire de son enfance, elle l’a vu se transformer au fil du temps, par l’accélération et la multiplication des tempêtes ; “J’ai vu, dit-elle, l’océan prendre sur les terres et attaquer la forêt de pins maritimes”. Elle ajoute, pour bien exposer l’objet de ses travaux : “Je n’ai pas voulu montrer « l’événement tempête » en lui-même mais plutôt travailler sur les « intervalles » ; sur ce qui se passe dans la durée, entre la nature et l’Homme”. Car même si ce sont bien les événements climatiques qui déterminent le sens de l’action, l’Homme intervient d’une façon ou d’une autre ; la nature, elle, est manipulée (dans le sens de “maniée”) par les deux.
Signifier le passage d’une réalité à la trace
Il fallait bien enregistrer tout ceci dans les bonnes dimensions et dans les bonnes colorations pour pouvoir restituer, et pour “signifier le passage d’une réalité à la trace”. Il fallait bien photographier ces pins qui, il y a peu, étaient en pleine vitalité ; il fallait bien se souvenir qu’ici, une centaine de pins protégeaient la dune de la mer. Il fallait bien rappeler qu’ici, dans cette géographie en retrait, deux actes violents – climatique et humain – ont été commis. Il fallait bien que la photographe Brigitte Olivier arpente ces lieux de coupe pour fixer “ces vestiges d’une figuration fugitive”.
Ce sont des visages qui sont ici fixés ; des visages que la photographe nous propose de retenir. Pourtant, il y aurait aussi dans ces “portraits” quelque chose qui rappellerait les mots qu’André Malraux avait rédigé dans la préface du catalogue de l’exposition les otages de Jean Fautrier en 1945 ; avec Disparition, c’est la même interrogation qui s’élève ; en remplaçant le nom de Fautrier par celui d’Olivier, nous pourrions même lire : “Ne sommes-nous pas gênés par certains de ces roses et de ces verts presque tendres, qui semblent appartenir à une complaisance d’Olivier pour une autre part d’elle-même ?”
Oui, le récit de Brigitte Olivier est fragmenté de souvenirs et de poésie ; minutieusement la photographe travaille aussi ses portraits par analogie ; dans sa façon de photographier les “pins maritimes coupés” elle nous renvoie à notre propre fragilité, à notre passage éphémère sur terre ; sa série est encore une “ode aux victimes, aux peuples décimés…” C’est pour le moins, cette allégorie qui semble se dessiner en suspens.
“… Et j’ai ramené ce travail à la notion de portraits, tous aussi intéressants les uns que les autres comme identité du territoire. Des portraits qui permettaient d’imaginer une forêt, un ensemble, une famille. En partant de l’unité, de l’individu, de la particule, et du nombre, je suis allée vers le monumental, le mémorial…” conclut la photographe Brigitte Olivier.
Voir le site de Brigitte Olivier : http://www.brigitteolivier.com/?page=photographie&id=9
Extrait de l’œuvre (diaporama)