Aujourd’hui, j’entreprends la lecture de « Une nécessaire remise à plat pour les maires », un article du dossier « Les Chemins » qui est paru dans la revue Géomètre, N°2101, en mars 2013, signé par le géographe Pierre Clergeot, qui a été Maître de conférences à l’École supérieure des géomètres topographes au Conservatoire national des arts et métiers et qui surtout est un spécialiste de l’histoire de la mise en place du cadastre tant en France qu’en Europe [Lire : De l’estime au cadastre en Europe – Les systèmes cadastraux aux XIXe et XXe siècles. Coécrit avec Florence Bourillon et Nadine Vivier édité en 2008 par le Comité pour l’Histoire économique et financière de l’IGPDE-EDITIONS-PUBLICATIONS], mais qui a aussi coordonné l’ouvrage « Littoral – Les cartes racontent » publié en 2004 chez Publi-Topex.
Dans le chapô de l’article, je lis : « il est assez étonnant de définir le statut d’un chemin en fonction de l’utilisation qui en est faite. C’est pourtant ce qui semble exister à une époque où les données croisées de la protection de l’environnement, dans toutes ses composantes, et ce qu’il est convenu d’appeler “la génération des loisirs” semblent prendre le pas sur des réels fondements juridiques. L’utilisation naturelle ou ludique prime vraisemblablement sur la qualification juridique, à tel point qu’il en résulte un véritable flou artistique non seulement sur la catégorie exacte de tel ou tel chemin ; mais plus grave encore, sur sa pérennité et sa réelle protection ». Car justement, Pierre Clergeot lorsqu’il évoque l’origine du cadastre fiscal français métropolitain, en précise les racines en trois points : justice fiscale, transparence, paix sociale. Alors évidemment, pour Pierre Clergeot, même si le sujet s’est fortement complexifié « avec l’apparition de servitudes liées à l’évolution des loisirs et de la société : libre accès au littoral, passages privés ouverts au public, chemins de randonnée, véloroutes, sports de pleine nature etc.,» une véritable remise à plat est aujourd’hui nécessaire.
Les chemins forment la trame la plus fine dans l’organisation du territoire
Les chemins, en quelque sorte, tracent nos paysages. Ils racontent surtout les lieux que nous empruntons. Ils nous amènent du point A au point B. Ils servent de référence dans les actes notariés ; les géomètres les distinguent (chemins privés, chemins communaux, etc.). Ils bordent les propriétés, sont des chemins d’exploitations, sont avec ou sans servitudes. Je lis encore dans cet article que « les géographes [j’ajoute : les urbanistes] raisonnent en termes de réseaux, d’organisation spatiale, de desserte ». N’oublions pas les archéogéographes et les historiens qui étudient par la présence des chemins, leur évanescence ou leur découverte, les organisations spatiales des sociétés du passé, particulièrement leur articulation en trames, territoires et réseaux. Mais tout cela peut rester illisible et même invisible pour celui qui s’engage dans un de ces chemins privés ou communaux qui « forment la trame la plus fine dans l’organisation du territoire », et qui surtout, dans les termes du géographe Philippe Pinchemel permettent de desservir les villages, les hameaux, les écarts, les espaces agricoles et forestiers, les carrières, les zones de loisirs, les monuments, les sites naturels, etc. À cela, s’ajoute le chemin qui s’inscrit en termes d’intégration et d’ossature- via un projet d’urbanisme et/ou de mise en valeur d’un site – au paysage.
Les chemins ont des spécificités et des utilités contemporaines à considérer
Ces chemins, il nous faut donc d’abord en apprécier le sens, l’utilité, l’histoire ; ils ont des spécificités et des utilités contemporaines à considérer. Et ce n’est que localement et avec l’ensemble des membres de la communauté des utilisateurs que l’on peut engager ce travail de remise à plat, même si les juristes, les géographes, les concepteurs et bien d’autres spécialistes ne peuvent être oubliés.
Les chemins vont bien souvent au-delà des limites communales
Ces chemins encore, sont bien souvent intercommunaux et dépassent ordinairement le cadre départemental (voire de la région). Ils ont besoin d’entretien. Quelle cohérence d’ensemble ? Qui en a la charge ? La commune, l’intercommunalité, les propriétaires usagers, des bénévoles ? Qui en est responsable juridiquement ? Sont-ils adaptés aux nouveaux usages, aux usages plus importants ? Quid du respect de la biodiversité ? Toutes les réponses à apporter sont d’ordre de la propriété, de la gestion financière et administrative, de l’entretien, de la sécurité, de l’usage, des usages [l’exploitant agricole ou autre et l’usager de loisirs, les activités sportives ou de nature…], de l’environnement. En dressant ce premier inventaire nous comprenons bien qu’une simple servitude d’usage ne peut régler le problème. Les choses changent, comme les usages. Nous ne sommes plus en 1830 lorsqu’est rédigée la loi portant sur les chemins vicinaux et qui divisait ces chemins en trois classes : les chemins vicinaux ordinaires, qui ne servent qu’aux habitants d’une seule commune pour se rendre à une grande route, à une rivière, à un hameau (…) ; ceux qui établissent une communication entre deux ou plusieurs communes ou qui servent en même temps aux habitants des unes ou des autres ; ceux qui forment une longue ligne de communication et qui, en aboutissant à des villes, à des chefs-lieux de canton, desservent dans leur passage un assez grand nombre de communes. Nous ne sommes plus dans cette période où il avait fallu encore une fois réglementer la place et l’usage des chemins, en instituant une nouvelle loi qui pourtant laissait dès sa promulgation de nombreux chemins sans appellation officielle. Et toujours aujourd’hui, bien des chemins perdent leur fonction initiale, celle de desserte du parcellaire au profit des fonctions de communication et d’échanges entre les différents pôles d’habitat et d’activités commerciales.
Repenser les chemins en meilleure adéquation avec les pratiques
Il serait temps de dresser un état des lieux des chemins et de mieux étudier les cohabitations entre les différentes pratiques, entre les différents acteurs et même, pourquoi-pas, inventer une nouvelle organisation juridique adaptée à ces « co-usages / co-usagers », qui aurait pour but d’assurer l’entretien et la conservation de l’ensemble des chemins répertoriés comme utilisés par un grand nombre d’usagers, d’établir et mettre à jour un carnet d’entretien de ces chemins, capable d’agir en justice. Une utopie ?
Sur ces chemins de liaison, ces chemins de traverse, bien d’autres choses à dire encore. Je voulais juste rappeler que l’assise juridique de ces chemins n’est peut-être plus adaptée à leurs nouvelles fonctions.
Photos de l’article prises fin août 2018 du côté de Saint Genouph (Indre-et-Loire), entre la Loire et le Cher. XG