Accueil > Vagabondages > [À livre ouvert] “Les arbres et les pierres” se souviennent
une photo de Diannek

[À livre ouvert] “Les arbres et les pierres” se souviennent

En 1943, toute la France est occupée par l’armée Allemande et vit sous le double régime de la censure de Vichy et de l’occupant. Le poète et éditeur Jean Lescure fait paraître à Genève, oasis de paix dans l’Europe mortifère de la Guerre, un numéro spécial de sa revue “Messages” qu’il intitule “Domaine Français”. Près de soixante écrivains d’Aragon à Claudel, de Valéry à Sartre, collaborent à ce numéro immédiatement interdit en France.

François Mauriac donne un court texte, très dense, “Les arbres et les pierres”. Il y évoque la Place de la Concorde. En trois pages fulgurantes, le message de Résistance et de Liberté prend une dimension historique et patrimoniale intense. A ce titre, “les arbres et les pierres” méritent de ne pas tomber dans l’oubli.

Mauriac débute en évoquant cet espace immense, totalement vide et silencieux à l’heure allemande du couvre-feu alors qu’il fait encore complètement jour. De ce constat amer de mort apparente, il retient que la vie perdure, hors de toute présence humaine. “La Pierre et l’Arbre se souviennent, ils sont incapables d’oubli” et l’écrivain rappelle le sens symbolique de la place de la Concorde, chargée d’Histoire et de discordes… Mais, “non, cette place ne porte pas un nom usurpé : il existe une concorde entre les Français qui se haïssent et ne le savent pas. Les arbres des Tuileries le savent, les balustres et ces anciens parapets”. La vie ne s’est pas retirée. Le malheur des temps, la cruauté de l’Occupation ne remettent pas en cause la pérennité de la Place, site urbain, bien commun. Et Mauriac d’insister (à nous de le lire, de l’écouter encore), “au minéral et au végétal revient la charge du souvenir, ils ont une mission de fidélité”.

Ce qui était vrai en 1943 pour la Place de la Concorde le demeure en 2016 pour tout site urbain. Curieux concept, diront certains que cette fidélité des paysages urbains. Et pourtant, il exprime parfaitement ce qu’est, ce que devrait être, l’essence d’une ville, où, par nature, rien n’est sauvage, rien n’est aussi “in-humain”. Le végétal et le minéral ont été façonnés, créés par l’homme tout au long des siècles. Respecter la Ville, respecter la Vie, c’est d’abord tenir compte de cette double et complémentaire fidélité. Elle est gage du “passage de témoin” entre générations, gage de l’humanité profonde des villes qui ne doit jamais être négligée.

Nous vivons, non pas dans le passé, mais de ce passé. Il peut être important de le rappeler. À tous…

Lire le texte : Les arbres et les pierres [manuscrit daté de 1942] : texte paru dans “Le Figaro” [supplément littéraire], le 30 juin 1942, repris dans le numéro spécial “Domaine français” de la revue “Messages”, en janvier 1943, dans “France”, le 30 octobre 1943 puis aux “éditions des trois collines” à Genève (1943), aux “éditions de la Revue Fontaine” à Alger (1944), en plaquette [Hors commerce] aux “éditions Stols” à Maastricht (1944), puis édité dans “les œuvres complètes de Mauriac” T. XI (Fayard 1950-1956) et dans “Mauriac sous l’occupation” de Touzot (La Manufacture 1990).

L'auteur : La rédaction

Les rédacteurs et photographes du magazine écrivent des paysages et des horizons.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *