C’est l’histoire de La Caravelle, un ensemble de barres HLM construit à Villeneuve-la-Garenne entre 1959 et 1968, qui contient dans son nom la promesse d’un nouveau monde. C’est l’histoire de La Caravelle au moment où Roland Castro s’apprête à la remodeler intégralement. C’est l’histoire d’une cité qui devient neuf quartiers. C’est l’histoire de ses habitants, de ceux qui sont partis, de ceux qui sont venus, de ceux qui ne veulent pas la quitter. C’est aussi une histoire à la fois singulière et exemplaire de l’habitat social en France.
Extraits…
La folie des grandeurs
(…) On présente parfois La Caravelle comme « la plus grande barre de France ». Vanité : à Nancy, la barre de la Cité du Haut-du-Lièvre, construite par Zehrfus en 1953, s’étend sur 700 mètres. À côté, les 385 mètres du bâtiment central de La Caravelle font piètre figure. Quand on y est, pourtant, c’est immense. Tellement qu’en dépit de la simplicité relative du plan, on s’y perd. Cela tient en partie à l’absence de repères qui accrochent l’œil et structurent l’espace. D’autres chiffres donnent le vertige : La Caravelle, 10 étages, 15 500 m2 au sol, un peu moins de 6 000 habitants, 1630 logements.
De Mondrian à la nasse
(…) La Caravelle est un immense vaisseau graphique, un décor pour un film d’Antonioni. Dans le catalogue d’une exposition consacrée à son architecte, Jean Dubuisson, on dit Malevitch ou Mondrian, on parle de partition. Il paraît aussi que Dubuisson s’est inspiré des premières cartes informatiques. Mais on s’en vante moins. (NDLR : aujourd’hui, l’immeuble est devenu blanc et il est même appelé “Le Blanc”)
(…) Jusqu’en 1968, les architectes ne font pas de maquettes, et travaillent sur de grandes feuilles. Les projets sont examinés à la manière d’une fresque ou d’un tableau.
(…) Roland Castro (NDLR : architecte opposé au travail de Jean Dubuisson – Il a restructuré l’ensemble immobilier entre 1994 et 1998): « Sur la toile, un tableau de Mondrian suggère l’infini. Mais quand on fait du Mondrian sur un plan de masse, on peut se retrouver avec une nasse. »
Dedans /Dehors
Dans La Caravelle, il y a des endroits où l’on ne voit plus le ciel : une impasse, un goulot — tous ces mots que reprennent à leur compte les habitants de la cité. Nadia Abid : « C’est comme si on était enfermé. Quand on habite à La Caravelle, on part avec l’idée qu’on n’ira pas loin. » Le décor est au diapason du sentiment d’assignation à résidence.
Le plan de La Caravelle brode sur le motif de la barre. À deux endroits, le bâtiment se referme en boucle. Moderne dans ses matériaux, dans ses dimensions, dans le souvenir qu’il semble garder du chemin de grue, l’ensemble rappelle la grande conception classique : un Palais Royal du pauvre.
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Extrait d’un article “tout en couleurs” publiée dans la revue “Vacarme” – n°9, automne 1999 / “La Caravelle, une cité HLM” par Philippe Mangeot
Photo à la une : La Caravelle à Villeneuve la Garenne – Martin Argyroglo
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