Le 3 février dernier, les vingt salariés de l’équipe de “Culture O Centre”, l’agence culturelle de la région Centre-Val de Loire, apprennent leur licenciement et que la décision de la fermeture de l’agence au 31 décembre 2016 est votée.
Mais qu’était donc cette “Culture O Centre” ?
Une agence publique régionale créée en 2009 de la fusion de plusieurs agences, chargée du développement de la création artistique régionale et de son rayonnement à l’échelle locale, nationale et internationale. Elle était la mémoire et le savoir-faire de trente années d’activité, un labo d’idées, un incubateur. Culture O Centre était aussi une structure permettant aux différentes communes de la région d’utiliser du matériel de spectacle et toute une logistique à destination d’événements culturels. C’est d’ailleurs sur ce point que Maryvonne Hautin, maire de Saran insiste : “Alors que De nombreux événements culturels n’auraient pu être organisés dans la région sans ce précieux soutien, votre décision va fragiliser nombre de manifestations et obliger les collectivités à sacrifier une part de leur budget culturel. Nous devrons en effet nous tourner vers des prestataires privés pour louer du matériel avec des coûts sans commune mesure. Ainsi, les auditions de l’école municipale de musique, le gala de l’école municipale de danse et d’autres événements seront directement impactés”. Il ne faut pas non plus l’oublier, “Culture O Centre” avec des “Rencontres à l’Ouest” était un pont entre quatre régions voisines : Centre-Val de Loire, Limousin, Pays de la Loire, Poitou-Charentes.
Lorsque le point de fuite budgétaire éloigne le créateur de sa perspective
Vous l’avez compris, une agence publique est un démembrement d’une entité publique chargée de la réalisation d’une mission d’intérêt général. Le but : différencier la stratégie (politique) de l’opérationnel (l’équipe chargée de l’exécution de la stratégie). Pour quoi faire ? Pour améliorer le rapport coût-efficacité. Une idée de gestion publique qui est née dans les années 70. Mais nous n’en sommes plus là affirment les “spécialistes”. Aujourd’hui, il est constant d’affirmer que les agences publiques sont coûteuses, voire inutiles et toxiques. Un rapport de 2012 de l’Inspection Générale des Impôts soutient que les agences publiques sont un “point de fuite” budgétaire et s’interroge même sur l’efficacité de certaines.
Alors me direz-vous : pourquoi c’était, pourquoi c’est plus ?
À cela plusieurs réponses possibles : Parce que le monde change et que les idées d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui, ou qu’il n’est “rien de plus puissant qu’une idée dont le temps est venu” comme l’écrivait Victor Hugo. Ou encore, comme le disait Winston Churchill parce “qu’il vaut mieux prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge.” En tout cas, pour la méthode, un seul adage s’applique : “Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage”.
Mais revenons à notre si chère “exception française”
Il y a trente ans, un peu partout en France naissent des agences au service de la culture. Et oui, nous sommes dans le temps où la culture en France a toute son importance. En 1981 la gauche arrive au pouvoir, Jack Lang est nommé par le nouveau président de la république François Mitterrand au Ministère de la Culture, et cela change la donne. “Il y a de la part de François Mitterrand et de son ministre la volonté de vraiment donner plus d’oxygène à toute l’activité artistique” déclarait Alain Crombecque en 2006, “il y a une continuité dans la politique culturelle d’André Malraux à aujourd’hui, (…) ce que 81 apporte de plus, c’est vraiment un nouveau souffle pour l’ensemble des acteurs de la scène artistique”. On aime encore le dire. Depuis, dix années sont passées.
Aujourd’hui, l’agence “Culture O Centre” ferme ses portes
Pourquoi ? Simplement comme le rapporte Mathieu Guia du magazine 37°, pour Michèle Bonthoux, vice-présidente à la culture de la Région Centre – Val de Loire, fermer l’agence, c’est “économiser sur les coûts de structure en intégrant les missions de Culture O Centre dans les services internes de la Région.” Il ajoute dans son article : “Un basculement des activités vers les services internes”. C’est incontestable. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut rappeler qu’une purge est programmée depuis 2011 dans le cadre d’un projet de réorganisation des régions françaises. Le but premier est de désengager l’Etat. Une réelle urgence lorsque l’on veut diminuer les dotations financières. Tout cela n’est pas bien commenté. Les travaux se font en toute discrétion. Ainsi Pierre Hanoteaux, qui dirige le cabinet du ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand, écrit en juillet 2011 dans une “Note à l’attention de Patrick Olivier, Chef du service de l’inspection générale des affaires culturelles” : “Je vous demande de procéder à un état des lieux précis des missions et des activités des agences régionales existantes au regard de leurs objectifs et de leurs moyens : statut, budget, répartition des financements publics, ressources humaines, périmètre d’activité, coopérations interrégionales, etc. Je souhaite que vous puissiez évaluer l’impact du rôle actuel de ces structures régionales sur les politiques publiques en faveur du spectacle vivant et apprécier la place qu’elles seraient susceptibles d’occuper à l’avenir dans le développement du partenariat entre l’État et les régions en prenant en compte l’évolution des politiques culturelles territoriales. Cette évaluation devra également permettre de préciser les objectifs proposés par les DRAC, dans le cadre de leur soutien à ces structures. Il vous appartiendra, en concertation avec l’Association des régions de France, d’examiner l’opportunité de proposer des pistes d’évolution relatives aux missions et au rôle de ces agences régionales, dans la perspective d’en améliorer l’efficacité au bénéfice des politiques du spectacle vivant. Ces propositions ne devront pas ignorer les questions qui seront posées à échéance, par l’application de la loi réformant les collectivités territoriales, notamment pour ce qui relèvera des schémas d’organisation des compétences entre les régions et les départements.”
La culture est un flux qu’il faut savoir gérer
Vous l’avez bien compris. Comment rendre le service interne moins coûteux que le service proposé par l’agence “Culture O Centre”. Et bien tout simplement en diminuant le budget alloué à la culture. En réponse, et puisque les comptables publiques utilisent des termes artistiques pour évoquer l’économie culturelle, je reprendrais les mots du macro-économiste, Thierry Amougou : “La culture est un flux car les cultures s’influencent les unes les autres et évoluent même si on peut y trouver des noyaux durs pour chacune d’elle. L’heure est donc, non à l’intégrisme culturel ou au culturalisme naïf, mais à l’interculturel dans un monde qui devient de plus en plus métissé. Qui dit métissage culturel dit automatiquement tolérance d’autres façons d’être, de voir, de parler, de manger, de s’habiller, de dormir, de marcher etc…”
N’y avait-il pas d’autres façons de faire ? D’ailleurs, la question s’est-elle posée ? Voilà une décision bien regrettable, bien plus encore dommageable. En ces temps marqués d’évènements sanglants provoqués par des gens en quête d’identité, le développement de la culture est plus qu’une nécessité, c’est une substitution à l’absence d’histoire.
Soutien à Culture O Centre sur FB https://www.facebook.com/soutienacultureocentre/