Cela fait vingt-trois ans que les ouvriers et les parfums chocolatés ont quitté l’ancienne usine Poulain située au cœur de la ville de Blois. Vingt-trois ans que l’entreprise s’est délocalisée au nord de la commune, laissant quatre hectares de friches industrielles derrière elle. C’est dans ce lieu chargé d’histoire et réinterprété par l’architecte Patrick Rubin du cabinet d’architecture Canal que l’Ecole Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage (ENSNP) s’est installée. Une ouverture de l’ancienne usine sur la ville.
Son arrivée dans les murs de l’ancien atelier nord de la chocolaterie Poulain, l’Ecole Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage la doit à son fondateur, Chilpéric de Boiscuillé qui s’est battu pour que l’ancienne usine ne soit pas démolie. « J’ai dû faire comprendre à mes interlocuteurs que le paysage, c’est aussi une intervention. On ne jette pas, on recycle. C’était donc important pour moi qu’on réhabilite ce « déchet de bâtiment » au lieu de le raser et de construire je-ne-sais-quoi à la place. » Après des années de réflexion et d’études, la ville choisit d’intégrer le souvenir d’une industrie dans son nouveau paysage urbain. Au sein de l’usine, de nouvelles rues sont percées. Tout un quartier se crée au cœur de l’ancienne chocolaterie.
Une première étape de gagnée… jusqu’à la suivante. Car l’ENSNP, créée en 1993, ne devait pas se retrouver au cœur de Blois au départ, loin de là même. La Ville, le Département et la Région l’auraient bien vu s’établir dans l’abbaye de Pontlevoy, entourée de champs… Une aberration pour Jack Lang, maire de l’époque, et pour Chilpéric de Boiscuillé : « Le paysage, ce n’est pas que le végétal, c’est aussi toute l’activité humaine, les centres villes, les grandes avenues, et pas simplement les parcs perdus dans la campagne ». Comme elle ne pouvait pas non plus être loin de la gare, elle qui accueille des intervenants extérieurs nombreux et des élèves venus de la France entière. « Avec ce projet, on rétablit la circulation entre tous les pôles et l’usine renoue les liens avec la ville », précise Alain Courtois, ancien président de la CCI du Loir-et-Cher. La ville s’offre une nouvelle perspective.
L’école du paysage s’ouvre sur la place Auguste-Poulain, à 200 mètres de la gare et du château de Blois. La création d’imposantes portes vitrées, sept au total, ouvre le bâtiment sur la ville. Le hall d’accueil devient visible de l’extérieur, et inversement. En façade, une esplanade est créée sur l’idée d’un élève de 3e année. « Ce rez-de-chaussée menant directement sur la place était très important pour moi. Il fallait que l’école soit ouverte sur la ville, sur le monde, que les gens puissent facilement y entrer », souligne Chilpéric de Boiscuillé.
Restait à revisiter l’immeuble pour qu’il s’ouvre à la ville et s’en inspire. 11 000 m2 en tout, dont 4500 m2 réservés à l’école. Finalement, après neuf ans d’études et vingt mois de travaux, l’Ecole Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage ouvre ses portes en 2007. Une école du paysage qui a su prendre place dans un atelier d’usine. Un magnifique terrain de jeu et d’inspiration pour les 160 futurs ingénieurs paysagistes que l’école forme chaque année.
Le hall de 300 m2 a conservé les volumes de l’ancienne chocolaterie et surtout les fameux « poteaux-champignons » datant de la construction du site en 1919 par les ingénieurs Paindavoine et Collignon, sur le principe de l’ingénieur suisse Robert Maillart. Ces piliers à évasement de 4,57 m de hauteur permettent de soutenir une dalle en béton armé sans poutre (la « dalle-champignon »). Dans l’écriture de l’architecte, ces colonnes sont les éléments importants de l’architecture du lieu. Ils jouent un rôle majeur dans les espaces de travail, comme dans les circulations. Ils devaient être magnifiés, encerclés, détourés…
Patrick Rubin ajoute : « La réinterprétation et le détournement du vocabulaire industriel s’opèrent grâce à des jeux de leurre sur la couleur, la lumière, la transparence, le reflet… qui déstabilisent la perception du réel, notamment dans les lieux de passage : mezzanine, couloirs, escaliers ». Inspiré par la réinterprétation et le détournement du vocabulaire industriel, l’architecte a choisi de n’intégrer aucun faux-plafond. Résultat : circuits électriques, fils et gaines d’aération sont à l’air libre. Dans le même registre, des coursives et escaliers de service sont ajoutés en façade. Un parti-pris totalement assumé.
L’installation au centre des plateaux, des espaces de service, des locaux techniques et des circulations verticales compense le handicap de profondeur du bâti. Dans cet espace réservé, un clin d’œil : à la manière du château de Chambord, les deux escaliers centraux ne se croisent jamais.
Toutes les salles de cours sont à l’étage. Elles sont toutes en point de vue. Les vastes ouvrants permettent aux futurs ingénieurs paysagistes d’avoir un regard sur Blois et son horizon.
Texte : Amandine Dudek – Xavier Guillon
Photos : Dylan Lefaucheux