Je viens de retrouver dans la bibliothèque l’ouvrage du sociologue Jean-Pierre Corbeau, le village à l’heure de la télé édité en 1978 ; il y a maintenant plus de quarante ans.
Le titre m’interpelle, d’autant que ce passage d’un village à un autre, je l’ai vécu, comme toute personne de ma génération. J’ouvre le livre et constate qu’il s’agit d’une étude sociologique réalisée dans le village de Tauxigny, « ce bourg rural de l’Indre-et-Loire situé à 26 km de Tours [qui] nous semblait symboliser les 36 000 communes de France« .
J’oubliais de dire aussi que Jean-Pierre Corbeau est sociologue ; mais qu’il est aussi Tourangeau, ou pour le moins, un habitant d’Indre-et-Loire. Aujourd’hui, on le connait pour ses travaux sur l’importance de l’analyse des comportements alimentaires en tant que lieu privilégié et pertinent de l’observation du changement et pour sa participation à la fondation et aux activités de l’Institut Français du Goût (Université de Tours). Mais bien avant cela, il collaborait avec l’anthropologue et sociologue Jean Duvignaud avec qui il a publié, La planète des jeunes (Stock 1975) et Les tabous des français (Hachette 1981) ; et avec Jean Duvignaud et Françoise Duvignaud, La banque des rêves (Payot 1979). Et l’on voit bien à travers tous ces ouvrages la thématique développée par l’auteur ; celle de la représentation imaginaire de la quotidienneté et des temps exceptionnels – sinon festifs – ; celle de la dynamique des sociabilités et celle des mutations sociales dans un contexte d’anomie sont omniprésentes.
Un village français
Et le livre commence comme l’aurait fait tout géographe ou tout observateur du moment : “Au premier abord, Tauxigny ne se différencie guère de tous les petits villages que l’on peut traverser en France. Son aspect traditionnel lui vient de son monument mortuaire élevé à la gloire des enfants de la commune (héros de la patrie), de son lavoir, de ses nombreuses fontaines qui dispensent leur eau au hasard des places et des sentes, de sa zone marécageuse extérieure au hameau et réservée aux nomades. Enfin, et surtout, le bourg doit son image typique de village tourangeau à ses maisons aux toits d’ardoises ou de tuiles, qui dressent leurs murs crayeux à flanc de coteau.” S’en suit une présentation des terres et de la population de Tauxigny ; le décor est planté.
Avant la télé, les hommes vivaient sans. Oui, mais…
Mais l’intérêt du livre n’est pas là ; il s’agit d’une enquête sur une réalité qui va modifier le temps et l’espace. Nous sommes dans cette période où la télé vient d’entrer dans toutes (ou presque) les maisons. “Ce truisme dissimule un profond changement social et culturel, un bouleversement d’habitudes et de comportement. La télé aujourd’hui, c’est presque la famille” nous dit Jean-Pierre Corbeau. Et il ajoute que si la télévision est “importante pour les citadins, elle l’est encore plus pour les ruraux qui, vivant souvent repliés sur eux-mêmes, se définissent partiellement par rapport à ce média”. Et en tout cas, il est indéniable de constater que “depuis son apparition, la télévision a tout changé, tout remodelé. Rien n’est plus comme avant”.
Tout cela bien sûr, s’est passé il y a plus de quarante ans ; alors me direz-vous, pourquoi lire ce livre aujourd’hui ? Et je vous répondrai : pour comprendre comment un simple appareil peut changer la nature d’un hameau, d’un village, d’un bourg, d’une ville, d’un pays… Pour relire aussi comment les choses se sont passées. Et pour se souvenir qu’“Avant la télé, les hommes vivaient sans”.
Publié aux Éditions Stock – 1978 / épuisé (mais on le trouve encore d’occasion)