J’ai, il y a quelque temps écrit, à propos d’une des photos de Denis Thomas, que je pouvais y lire trois temps qui s’interposent et s’ajoutent ; que J’avais devant moi, dans l’ordre que je pouvais choisir, un futur, un présent et un passé ; et que j’étais même en présence d’un équilibre qui aimerait s’affranchir d’un avenir trop prévisible. Je remarquais tout cela dans cette photo. Là, il s’agit d’une série dont chaque photo participe à l’ensemble. Pourtant, le parti pris est le même ; c’est un travail de photographe reporter qui s’est donné pour mission de saisir les séquences d’une actualité urbaine.
Il ne fait pas encore tout à fait jour lorsque le photographe Denis Thomas s’installe sur le chantier afin d’enregistrer l’événement. Après avoir pris ses premières mesures, et ajusté la distance, il a enfoncé son clou de repérage, et s’est installé avec son appareil “porté à bout de bras et non pas sur un trépied” – précise le photographe – comme s’il s’agissait d’une intervention destinée à mesurer le rythme de la démolition qui va bientôt commencer ; de cette démolition mécanique.
La LOURDE question du rapport de l’homme à la machine…
Et lorsque Denis Thomas évoque le pourquoi de sa présence, il dit : “ Je suis là, moi humain observateur, face à l’événement – Le site, le lieu, le lieu en action – et je réagis” ; et ces mots commentent simplement sa façon d’être dans l’action. Pourtant, il n’y a aucune légèreté, ni aucune obscénité dans sa façon d’enregistrer “l’accident” ; il le précise : “JE porte dans mon travail – qui est photographique – la LOURDE question, trop souvent éludée, ou mise de côté, du rapport de l’Homme à la Machine”. Il ajoute : “le JE a ici toute son importance ; ce n’est pas la machine qui m’entraîne ; c’est MOI qui porte la machine et qui voit”.
Le photographe, face à l’événement exprime plus fortement l’effacement
En résultat, c’est une suite de photos prises à intervalles aléatoires que le photographe enregistre, pour capturer l’événement, même si le tout est écrit dans un “laps de temps” qui comprend “tout le temps” de la démolition ; dans un espace de temps qui n’est surtout pas saisi comme l’aurait fait un time-lapse qui lui est “conçu-pensé-fabriqué-en-usine”. Le photographe est là in situ ; il est face à l’événement – le site, le lieu, le lieu en action – il observe ; il réagit et le rythme de ses prises de vues est juste guidé par ce qu’il perçoit du site, du lieu, du lieu en devenir. “L’intervallomètre”, lui, a été réglé pour finalement exprimer plus fortement l’effacement du paysage. La série de photos qui enregistre la démolition rend alors plus difficile l’acceptation du projet de nivellement.
C’est à la quatre-vingt-onzième pause que l’on considère une nouvelle réalité ; l’immeuble n’est plus ; ce qui est autour a pris plus d’importance ; et c’est tout cela qui est remarquable. C’est aussi par ces quatre-vingt-onze arrêts sur image que l’on comprend que cette disparition ne peut être que fatale et même inévitable ; on voit bien déjà dans les premières images, qu’il sera impossible de revenir en arrière.
Voir la capture de l’événement sur le site du photographe : https://www.denisthomas.fr/photographie/architecture/amylum/la-deconstruction-du-paysage/
Se faire une idée du lieu “avant” la déconstruction : https://www.denisthomas.fr/photographie/architecture/amylum/le-paysage-monumental/