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N’y mettez pas votre nez

C’est le titre d’un polar de James Hadley Chase, mais pas seulement. C’est aussi le titre d’une histoire à mourir debout qu’il fallait vous raconter.

L’été est bien là. Les bruits de la canicule provoque nos insomnies. Piqués de moustiques en action, éclats de voix de pratiquants de barbecues tardifs, cliquetis de bouteilles négligemment jetées. Mais surtout, au-delà du degré sonore de tout ronflement humain, le vrombissement des climatiseurs, cette invention américaine du XXe siècle en rajoute, et personne ne s’en soucie vraiment. En effet avec son esthétique douteuse, son caractère énergivore… elle s’impose à notre quotidien. Cela tout le monde le sait. Mais il existe une nuisance plus insidieuse qu’inhalent les piétons insouciants, la legionella pneumophila.

Une colonisation par légions

Venue des tropiques, la légionnelle – une bactérie dont on connaît de nombreuses espèces et que l’on retrouve dans les réseaux d’eaux chaudes sanitaires, les installations de climatisation ainsi que les tours aéroréfrigérantes – prolifère dans nos villes et nos campagnes. Depuis plus de quarante ans, la légionnelle tue et elle tuera encore. Son nid est régulièrement découvert dans les systèmes de climatisation que nous adulons. Elle s’y développe et s’en échappe. Par simple inhalation, nous sommes contaminables.

Une réalité qui dépasse l’entendement

La maladie est apparue pour la première fois aux Etats-Unis en 1976, lorsque plus de 200 vétérans de l’American Legion, réunis dans un hôtel de Philadelphie, ont été brusquement atteints de pneumonie aiguë et que 34 en sont morts. En France, l’Institut de veille sanitaire a recensé 450 cas en 1998 (source : données de déclarations obligatoires de l’Institut de veille sanitaire / en 2000, 609 cas – en 2004, 1 202 cas – en 2008, 1 244 cas – en 2012, 1 298 cas et en 2014, 1 348 cas)
Pour l’ensemble des accidents recensés comme liés à la légionnelle, les victimes ne faisaient que passer à proximité d’un système de climatisation et l’on a ainsi pu estimer qu’entre dix et vingt pour cent en sont mort. Le plus inavouable, est que “recensés ”ne veut pas dire exhaustifs, et que la réalité est bien plus importante qu’indiquent les chiffres officiels. “Il y aurait au moins 2 000 cas par an en France”, affirme le Dr Fabien Squinazi, médecin biologiste et directeur du Laboratoire d’Hygiène de la Ville de Paris. Une maladie qui potentiellement mortelle tue en France environ 150 personnes par an. Des bactéries, même si elles ne sont pas toutes mortelles, sont bien présentes, au bureau, dans les centres administratifs et lieux publics, à l’hôtel, à la maison et même dans nos rues.

Y aurait-il un remède ?

Oui, bien sûr. Mais, il faut malgré tout bien le reconnaître, les études révèlent que nous nous adaptons de moins en moins bien aux températures estivales et ce depuis que la clim a envahi nos espaces publics et privés. Nous garderons nos clims. Les lobbys sont puissants. Il faudra donc trouver une autre façon d’exterminer les bacilles. Quoi faire alors ? Comprendre (et faire comprendre) qu’il est important de géo-localiser l’implantation des systèmes de climatisation et d’organiser une obligation d’entretien et de contrôles sanitaires drastique. On ne le sait pas, mais les systèmes compris entre 50 et 500 kilowatts ne font l’objet que d’une simple déclaration du propriétaire, une démarche administrative qui n’est pas toujours effectuée. “Il y a ainsi dans Paris près de 600 installations de refroidissement dont on connaît à peine l’emplacement” précise Robert Renaud, chef du service technique interdépartemental d’inspection des installations classées à la préfecture de police. Pire, on ne sait rien des climatisations de puissance inférieure à 50 kilowatts, qui en vente libre s’installent partout.

Il reste à prendre la mesure du préjudice

L’entretien des installations n’est pas encore entré dans nos habitudes de particuliers. Et c’est grave. Le combat contre les bactéries, les poussières et les germes ne fait que commencer. Il faut bien le savoir, en raison de la durée de vie d’un immeuble, d’une non connaissance des conséquences sanitaires liées à un mauvais entretien, des coûts d’entretien, il y a peu de chance que la situation s’améliore avant des décennies. D’autant que les matériaux vont vieillir et se dégrader et que d’autres maladies inconnues et plus redoutables pourraient encore envahir nos espaces. À travers le monde, plusieurs millions de personnes circulent dans des espaces de plus en plus climatisés. Pour ou contre, elles respirent un air “conditionné”. Sur ce sujet sensible, les analyses des experts divergent. Certains spécialistes précisent pourtant qu’en dehors des cas où la climatisation serait indispensable, il faudrait raisonnablement se poser la question de l’utilité d’une climatisation des grands ensembles d’habitation. Où mieux, de ne pas compter seulement sur la réfrigération pour obtenir de la fraicheur.

Ne nous battons pas contre les moulins à vent

Ne nous laissons pas conditionner par l’air conditionné. Des solutions existent. Elles sont liées à l’acte d’architecture, au recours à la ventilation naturelle et aux systèmes d’évaporation de l’humidité ambiante. Sue Roaf, professeur d’architecture à l’Université d’Oxford et co-auteur d’un livre intitulé “adapter les bâtiments et les villes au changement de climat” écrit que “dans Bagdad, où la température peut atteindre les 50 degrés l’été, les capteurs d’air (badgirs) fournissent un air conditionné frais utilisant des conduits étroits en hauteur, l’air étant ensuite conduit jusqu’au sous-sol. Ils refroidissent la structure interne de la maison, les murs et les sols la nuit en chassant l’air chaud du bâtiment le rendant plus frais dans la journée”. En occident, le refroidissement avec de la glace, était autrefois très largement employé dans les villes. Actuellement presque complètement oublié, ses origines remontent à plus de 4000 ans. On parle encore du puits provençal ou canadien. Des sources de connaissances sont à notre disposition.

Faisons du frais sans réchauffer

Et pour les adeptes des solutions d’un autre temps, il reste à apprendre à dompter les courants d’air, à utiliser l’évaporation pour consommer la chaleur ambiante et refroidir la pièce. Humidifions régulièrement nos sols. Faisons sécher notre linge à l’intérieur. Et puis laissons les stores ou les volets fermés dans la journée. Ouvrons les fenêtres la nuit pour créer les courants d’air. Mieux, si la maison a plusieurs niveaux, ouvrons les fenêtres de l’étage pour favoriser l’évacuation de l’air chaud. Et puis n’hésitons pas à inviter des plantes vertes chez nous. Elles retiennent, régulent l’humidité. Il suffisait d’y penser (mais pas trop).

Photo Dylan Lefaucheux

Sites utiles

http://www.sante.gouv.fr/legionellose-informations-a-destination-des-exploitants-des-reseaux-d-eau-chaude-sanitaire.html
Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES)
Agence française de normalisation (AFNOR)
Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)
Institut national des risques et de la sécurité (INRS)
Comité français d’accréditation (COFRAC)

L'auteur : Xavier Guillon

Rédacteur en chef et en os et profiteur d’espaces, il aime l’urbain et le crie haut et fort. En secret, il rêve de nature et prend régulièrement les chemins vicinaux.

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