Une participation à une certaine emprise nationaliste
C’est une étonnante découverte que j’ai voulu rapporter. Je travaillais sur l’histoire de la carrière d’extraction de Normandoux (un calcaire de grande qualité du Poitou) et j’ai retrouvé à Jardres, une petite commune de la Vienne à proximité de la carrière, “la trempe” du sculpteur Maxime Real del Sarte, un habitué des lieux dans une période entre deux guerres, présent encore dans les années 1945-1950 sur le site de la gare. En 1944, L’artiste y suit l’avancement de ses travaux et donne ses directives. L’œuvre en cours de taille est une “Jeanne au bûcher” que l’artiste souhaite offrir à Franklin D. Roosevelt.
Un artiste bien connu pour ses idées politiques
Maxime Real del Sarte, est né le 2 mai 1888, à Paris (17e arrondissement) dans un milieu propice à la création artistique. Son père Désiré était sculpteur et sa mère, Magdeleine Real del Sarte (fille du musicien François Delsarte et cousine de Georges Bizet), était peintre. Sa cousine, Thérèse Geraldy, est peintre, portraitiste elle-même reconnue. Jusque-là rien d’anormal à ce que Maxime Real del Sarte entre à l’école des beaux-arts de Paris en 1908. Mais ce qui ajoute à la dimension de son œuvre, c’est que Maxime Real del Sarte, est un militant nationaliste qui vit dans une période où la défense de la Patrie est un idéal. Plus encore, il a fait la Grande Guerre. Rien d’étonnant alors qu’il se tourne dans l’élaboration de monuments mémoriaux, de monuments en apologie de la Patrie, de la Victoire. Catholique fervent, il devient aussi naturellement un admirateur de Jeanne d’Arc à laquelle il consacra de nombreux travaux. “Sa personne, écrit l’un de ses proches, le baron Meurgey de Tupigny, fut dominée par la sainte. Il s’est battu pour elle toute sa vie.” Le même Tupigny écrira encore : “L’amour de la patrie, la poursuite de son idéal, son culte pour Jeanne d’Arc se confondent, se pénètrent et s’enroulent autour de ce pivot que fut pour lui l’idée monarchiste.”
La blessure crée le style
Blessé lors de la bataille des Éparges, sur le front de Verdun le 29 janvier 1916, Real del Sarte dut être amputé de l’avant-bras gauche. Après la guerre, il n’en reprit pas moins son métier de sculpteur et l’œuvre qu’il avait conçue en mars 1914, “Le Premier Toit” (installée au Parc Pasteur à Orléans), reçut le Grand Prix national des Beaux-Arts en 1921 et fut présentée à l’Exposition Internationale des Arts Décoratif de Paris en 1925. Dans “ Maxime Real del Sarte : Sa vie, son oeuvre ”, Anne-André Glandy en donne une juste description : “Un homme et une femme agenouillés l’un en face de l’autre : dans un geste de protection l’homme relève la femme et la maintient tandis qu’avec tendresse elle cherche à s’appuyer sur lui.” Elle ajoute, “c’est le principe de la clef de voûte, la base de toute architecture.” Mais la sculpture qu’on nous présente n’est pas écrite de la seule main de l’artiste. Sur le socle, un poème de Charles Maurras, son ami, s’est emparé de l’œuvre ou peut-être en a décrypté le sens :
Ils s’agenouillent tous les deux
Et de l’étreinte qui commence
Ferment l’arceau mystérieux
Un sombre amour unit leurs yeux
Elle caresse – elle repousse
Et les destins germent entre eux
Comme le chêne sous la mousse”
Par ce poème ajouté, les mots de Charles Maurras ont dépassés le geste du sculpteur. L’œuvre n’aide plus alors à s’évader. De l’amour tendre et protecteur, un amour conflictuel et égoïste est né. Pourtant, c’est de la naissance de cette œuvre que la notoriété de l’artiste ira grandissante dans le monde.
Et Jeanne protège le monde
Dans l’époque qui est la sienne, la pensée nationaliste s’accroche à la chrétienté. Jeanne d’Arc en est le symbole et le sculpteur l’imagine déesse. Déesse de la famille, du travail, de la patrie, de l’Occident chrétien. Avec Real del Sarte, Jeanne d’Arc devient la déesse Niké, la Victoire de Samothrace. Ses sculptures sont des compositions d’idéal et de mémoire, des apologies au devoir accompli. Ainsi, on trouve les « Jeanne d’Arc » de Maxime Real del Sarte, un peu partout en France (à Domrémy-la-Pucelle, Bar-le-Duc, Paris, Rouen, Marseille, Nîmes, Poitiers, Wissous…), mais aussi dans d’autres pays, comme à Montréal, Buenos Aires… Certaines ne sont pas arrivées à destination, d’autres ont été reproduites en plusieurs exemplaires. Un vrai business ! Mais ce qui est sûr, c’est que les Etats-Unis n’en ont pas. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. À la fin de la seconde guerre mondiale, le Congrès commande en effet au sculpteur une statue de Jeanne d’Arc, destinée à la “salle des héros” du Capitole des Etats-Unis à Washington. Mais l’œuvre achevée, le Congrès refuse de la payer. Pourquoi ? Je ne sais. Mais ce que je peux ajouter, c’est qu’une autre Jeanne, réalisée en 1946, a bien été commandée par l’ambassadeur des Etats-Unis pour la ville de Domrémy-la-Pucelle. Celle-ci l’aurait refusée. Quoi faire alors ? Et bien, le département de la Meuse l’achète et l’a fait placer dans l’église supérieure du Château de Vaucouleurs, où elle est toujours. Oui, décidemment les Américains n’ont pas de chance avec Jeanne d’Arc. Déjà en 1910, le Salon de Paris refusait la médaille à Anna Hyatt Huntington, l’une des plus grandes sculptrices du XXe siècle américain, au simple motif que sa Jeanne était “trop belle et trop grande pour que ce soit l’œuvre d’une femme”. Plus tard pourtant, une copie de la statue de Jeanne à cheval d’Anna Hyatt Huntington sera offerte à la ville de Blois par le mécène américain John Sanford Saltus. Elle est encore dans le jardin de l’Évêché de la ville.
La pierre devient œuvre par trait d’union
“De la main qui lui restait, note René Brécy, un collaborateur de Maurras au quotidien L’Action Française, il a modelé cent ouvrages très variés, davantage peut-être, conçus dans une méditation à la fois enflammée et subtile. Ne pouvant manier le ciseau, il a dirigé avec une étonnante maîtrise celui des praticiens, choisis entre tous, auxquels il lui fallait confier l’exécution de ses maquettes.” C’est sur cet homme-là que je voulais revenir, ou plus encore, sur le travail réalisé par l’un de ses sculpteurs dans un hangar du dépôt de la carrière de Normandoux en gare de Jardres dans la Vienne et d’une pierre fort utilisée en sculpture et architecture.
De quoi s’agit-il ? D’une des cinq répliques de la composition que Real del Sarte a réalisé en1928 pour la ville de Rouen dite “Jeanne au bûcher” que ma chère mère venait régulièrement voir pendant sa taille. Fille de parents qui agissaient pour la résistance, elle ne se souvient pourtant pas des idées politiques de l’artiste qui auraient dû l’indisposer. L’œuvre l’a impressionnée. Dans sa mémoire, c’est la plus belle Jeanne qu’il lui a été permis de voir. Elle revoit encore Real del Sarte venir constater l’avancement de son travail et donner ses instructions. Elle retient la sculpture. Jeanne a la tête tournée vers le ciel, ses yeux sont fermés et elle a les mains – que l’on perçoit comme ligotées – en prière. Prisonnière de notre monde, Jeanne demande à Dieu d’intervenir. En pied de sculpture, un simple triangle en bas-relief élève l’ensemble. Ce pourrait-être la pointe d’un clou en symbole de la violence faite à la vérité, mais aussi la représentation du “triangle du feu” qui aurait pour combustible, le conflit, en comburant, l’étincelle et un vent de tempête en source d’énergie. Les flammes qui l’enveloppent sont comme une longue chevelure représentant la force et l’idéal de beauté.
Encore une fois les États-Unis s’en passeront
Real del Sarte avait d’abord promis cette sculpture à Franklin D. Roosevelt. À la suite du décès de ce dernier en 1945, il décide de l’offrir à l’Université de Montréal en reconnaissance de l’amitié franco-canadienne. À la base de la statue, l’artiste a fait sculpter les mots : “J’ai fait cette œuvre avec amour pour nos amis canadiens, à la gloire de la sainte patronne de la paix du monde”.
La sculpture quitte le dépôt de la gare de Jardres au printemps 1950, pour le port de Nantes. En septembre, elle est prise en charge à Anvers par le “Beaverlake” de la compagnie Canadien Pacific et arrive à Montréal quelques semaines plus tard. Inaugurée au printemps 1951, l’œuvre est toujours installée devant le Pavillon Claire-McNicoll de l’Université de Montréal.
Une pierre au service de la propagande
L’œuvre qui mesure 3,70 mètres de hauteur et pèse 4 tonnes, est sculptée dans la pierre de Normandoux, un calcaire dur et granuleux de la région de Chauvigny dans la Vienne. Une pierre réputée en architecture depuis des siècles et dont l’exploitation a connu un important essor économique, dès 1867, grâce aux travaux haussmanniens à Paris. À tel point que “Normandoux” possèdera même, de 1885 à 1939, sa propre ligne de chemin de fer reliant la carrière à la gare de Jardres. Elle sert aux travaux d’élévation, pour la réalisation des corniches, des bandeaux, des balcons, des dallages et escaliers, au parement de façades, à la réalisation de sculptures….
Une pierre qui s’utilise dans le monde entier (New-York, Los Angeles, Lausanne…) et que l’on retrouve dans de nombreuses villes de France, mais surtout à Paris. Une pierre qui a servi à la restauration de la cathédrale de Lausanne, en Suisse, qui a participé à l’allure de “Two Rodeo Drive” à Los Angeles, qui a également été très utilisée en sculpture (des statuts de l’Opéra Garnier à Paris) et pour la création de fontaines, comme c’est le cas à Gignac et à Évian. Une pierre encore que l’on retrouve dans les corniches de la poste centrale de Blois, dans les matériaux de construction de l’Hôtel de Ville de Tours ou du Théâtre d’Angers… En bref, une pierre de “l’Art’chitecture” par excellence.
C’est la bien étonnante histoire d’un matériau qui s’accorde avec l’affirmation d’une autorité publique. Sur la quinzaine de carrières au plus fort de l’exploitation de la pierre, seules deux sont encore en activité. Il ne reste que le souvenir d’un matériau “destiné”. Maxime Real del Sarte meurt le 15 février 1954. Peu de personnes ne le connaissent encore. Il a pourtant ajouté ses œuvres à notre patrimoine. Reconnaissons-le, même si ses œuvres nous entraînent dans l’affirmation de la nation, l’esthétique ne connaissant pas la politique, l’artiste la mène là où il veut.
Photos : À la une, Jeanne au bûcher de Aidan-Wakely Mulroney / “Le Premier Toit” : Petit-patrimoine.com / Photos “Jeanne au bûcher” : Succession Maxime Real del Sarte/ SODRAC (Montréal) 2010 / artpourtous.umontreal.ca – Collection d’œuvres d’art de l’Université de Montréal / flickr.com – Aidan Wakely-Mulroney /Photo “Joan of Arc Rouen Burning place”: John Harding
faisant qques recherches sur Real del Sarte , j’ai lu avec beaucoup d’intéret l’ article ci dessus . Merci à son auteur , que j’aurai sans doute plaisir à rencontrer à nouveau .
Merci et au plaisir de vous rencontrer dans nos pages ou ailleurs. Peut-être puis-je vous transmettre d’autres informations, quoi que j’en doute. Au besoin, je dois vous dire que j’ai bien connu (grâce à ma maman et à ces parents et grands-parents) la pierre de Chauvigny et surtout le dépôt de pierre de Jardres, avec ses ponts roulants, la carrière de Tercé et le vestige des rails du petit train de la carrière de Tercé, le hangar de marchandises. Bien à vous.