Le 20 avril 2015, nous écrivions dans notre rubrique “Vagabondages” : “J’aime un peu, passionnément, pas du tout…”, une brève au sujet du projet de reconstruction du Haut de la rue Nationale à Tours. Mais de quoi s’agissait-il ? D’un coup de gueule en réponse à l’indifférence injustifiée portée par des modernistes immodérés à l’encontre de l’architecte urbaniste Pierre Patout et d’une suite à l’article “Casse-tête urbain” qu’en février 2013, la journaliste Lucie Cluzan écrivait pour le magazine VILLADéco.
D’une écriture qui s’efface, nous voulions y revenir. Ou plutôt, plus encore, nous voulions partager la poésie d’un projet urbain proposé par Pierre Patout qui avait tout son sens.
À l’origine du projet
Lucie Cluzan l’écrivait en introduction de son article : “(…) À Tours, les bombardements de 1940 ont conduit, comme dans beaucoup d’autres villes, à l’adoption d’un Plan de Reconstruction pour recréer au plus vite des logements et des équipements. En sont nés les projets signés de l’urbaniste Pierre Patout. Connu surtout pour son architecture « paquebot » typique des années 1930, il marque la ville de Tours par son écriture monumentale et ses bâtiments massifs incarnant l’assurance et l’ambition d’une ville renaissant de ses cendres. Au sortir de la guerre, la culture s’impose comme un remède à l’ignominie des années précédentes. La Bibliothèque et l’École des beaux-arts en sont les principaux exemples. L’architecture du collège Anatole France avec ses bas-reliefs en rappelle encore la volonté.” Rarement dans une proposition d’architecture, tout cela s’écrit avec tant de limpidité. Au-delà d’une simple nécessité de construire pour reloger les sinistrés, l’idée de Pierre Patout est de marquer un message : l’une des principales raisons de la ville est de contraindre la barbarie.
Le poème urbain
Dans sa façon d’être implantée, la ville de Tours est une exception. Elle s’est construite dans le lit du fleuve. Pour Pierre Patout, l’évidence est qu’elle ne peut donc se renfermer sur elle-même puisqu’elle vit avec lui. C’est ce que Pierre Patout dans sa proposition inscrit en aplat. Pour l’urbaniste, on doit pouvoir entrer dans la ville comme dans un jardin ouvert. Cette ouverture est affirmée par une large esplanade donnant sur Loire qui nous invite à la rencontre. La ville devient alors un jardin à la Française et en adopte les règles. Elle en a le vocabulaire esthétique. Son plan géométrique exploite pleinement les avancées de l’optique. Dans cette logique d’architecture, c’est aussi des appartements que l’espace public s’ordonne, qui à l’échelle de la ville, devient la continuité des habitations. Dans sa forme, l’espace visuel joue avec la simplicité de l’horizontal et du vertical, du végétal et du minéral. Sa codification géométrique jongle avec la sobriété. Dans son écriture, la ville se découvre par degrés, par de nouvelles perspectives. En résultat, c’est l’idée d’une ville à l’image d’un jardin à la Française, d’une ville-jardin, qui nous est présenté d’une brillante façon.
Dans la note explicative du dossier présentant le projet d’aménagement du haut de la rue Nationale rédigée par la SET (Société d’Equipement de la Touraine) en juin 2014, même si la réalisation architecturale de Pierre Patout n’est présentée qu’en témoignage historique, Il est noté : “Les esquisses proposées par Patout dans un premier temps ont ceci d’original qu’elles n’étaient pas le résultat d’un programme, mais l’idée d’une composition esthétique de l’architecte. En effet, reprenant les plans de masses de Dorian et Lefebvre, Patout propose une élévation de la place Anatole France en parfaite symétrie. Il conserve l’élargissement de la rue Nationale, mais ne reprend pas le thème des deux bâtiments du XVIIIe de part et d’autre de la rue. Il déplace ces bâtiments successivement, sur les quais, puis en retrait, puis légèrement éloignés de l’axe de symétrie, avant de proposer un plan définitif à la fin des années 50”. On retient à la lecture du document, une volonté pour l’architecte de marquer la tradition, d’inscrire le passé dans l’écriture du nouveau paysage urbain (le positionnement de deux ensembles immobiliers de part et d’autre de l’entrée de la rue, en rappel des bâtiments du XVIIIe détruits par les bombardements), d’ouvrir Tours à la Loire. Mais l’architecte va plus loin dans sa proposition. Il crée des promenades hautes surplombant le fleuve (les toits terrasses au-dessus des commerces le long de la rue Nationale) et même pense à l’édification de deux tours plus en bordure des quais pour y abriter une bibliothèque et un centre des congrès.
Un plan tout en séquences
Cette idée de ville-jardin, nous n’étions pas seuls à la partager. La municipalité de Tours l’avait même validée, puisque « quai Paul Bert », du côté nord de la ville en bordure de Loire, on peut encore lire sur un panneau d’information touristique mis en place par les services de la ville : “L’espace ouvert de la Loire permet d’apprécier les caractéristiques identitaires de la silhouette très horizontale de la ville. L’écriture urbaine est rythmée par les édifices remarquables, facilement repérables en tant qu’évènements verticaux (…) Le front de Loire bâti comporte une séquence centrale ordonnancée. Celle-ci constitue une entrée de ville monumentale, la place Anatole France, et présente un paysage urbain d’une grande unité architecturale. Cette composition qui date de la Reconstruction (NDLR : la reconstruction d’après-guerre – vers 1950), est conçue par l’urbaniste Dorian et l’architecte Patout. Le projet exprime clairement la volonté de retrouver l’esprit de l’entrée de ville du XVIIIe siècle et de la place royale attenante au pont, selon un ordre néo-classique d’une grande sobriété, respectant une symétrie générale. Mais il se démarque de la composition du XVIIIe siècle en élargissant l’ouverture de la ville sur la Loire, par l’implantation de deux édifices qui marquent un nouveau seuil urbain : la bibliothèque en amont du pont et son pendant en aval, qui malheureusement ne sera pas réalisé pour des raisons administratives et financières. La rue Nationale, dans cette logique, est conçue en ouverture progressive sur la Loire. L’église Saint-Julien s’en trouve ainsi dégagée”.
La ville rime avec l’idée d’un « jardin à la Française ». Alors que le pont Wilson en est l’élément structurant son plan géométrique, Place Anatole France, la ville – en s’ouvrant sur la Loire – en est une perspective. Dans cette mise en scène, la rue Nationale devient un affluent du fleuve. Selon les degrés et les points de vue, la théâtralité s’exprime en offrant de nouvelles perspectives plus ou moins dévoilées. Ce jeu de composition nous laisse percevoir l’église Saint-Julien, le bâtiment de l’école des Beaux-Arts, la basilique Saint-Martin, la tour de l’horloge et la Cathédrale en retrait. Dans ce jardin formel, la mémoire bien présente est en illustration.
En front de ville, la bibliothèque imaginée par Pierre Patout participe à l’écriture d’un message que l’inscription du bâtiment en façade appuie. Son positionnement est une façon ouverte de dire NON à la barbarie. Un deuxième bâtiment, en miroir de l’autre côté de la place, devait être un centre de congrès. Il n’a pas été construit, faute de moyens financiers. Pourtant l’idée d’un autre espace de la pensée sera plus tard reprise avec la construction de la faculté des Tanneurs. Encore, les grands parvis et esplanades, donnent sur les portes monumentales de la bibliothèque (une façon de rappeler qu’on entre dans un lieu préservé). Flanquée sur son podium, la bibliothèque devient un temple ouvert sur le fleuve.
Une écriture en “rétro projection”
Dans son écriture, l’architecte utilise ce qui lui reste utile, compréhensible, d’un passé lointain ou proche. Il ne cherche pas à reproduire pour reproduire. Il transpose pour accentuer une symbolique, un souvenir d’une époque toujours évocatrice et présente. Tout en rétro projection il assure la liaison et la continuité. Ce subtil mélange temporel est au cœur de l’œuvre de Pierre Patout. La bibliothèque municipale de Tours, dernière œuvre de l’architecte, en est une sorte de synthèse.
Quand on aime
Que dire de plus ? Que le projet de Pierre Patout reste très contemporain dans sa composition. Que la deuxième tour prévue dans le dessin de l’architecte aurait pu devenir un hôtel avec « vue imprenable » sur la Loire et sur la ville. Et qu’il n’y a pas grand-chose à ajouter. Sauf peut-être d’envisager un nouveau dallage de la rue Nationale (c’est fait), d’interdire la circulation aux voitures (c’est fait), de ré-ouvrir et rendre accueillantes les promenades hautes situées dans le haut de la rue Nationale, d’ouvrir les îlots est et ouest aux boutiques, bars et restaurants, d’en empêcher le stationnement aux véhicules et de les paysager (ces derniers points étant déjà prévus dans le projet élaboré par la municipalité). Pour Lucie Cluzan, “une attention à l’architecture existante rappelle que le charme du projet de Pierre Patout réside dans le prolongement du vide, de cette bouffée d’air qu’impose par sa présence la Loire. Dans la réécriture de ce quartier, si certains défauts sont corrigés, d’autres apparaissent. Le projet de construction d’immeubles de grande hauteur venant remplacer les actuelles « terrasses » – aujourd’hui inaccessibles – paraît en désaccord. La « ville-jardin » se renferme. Ses trésors d’architecture sont cachés. Étonnant de vouloir laisser la place à ces vigies imposantes. Réinventer des usages pour profiter des terrasses eut peut-être été plus pertinent.”
De manière plus générale, c’est pourtant le projet de Patout qui dans la nouvelle écriture a perdu en lisibilité. L’écriture de son plan était faite de séquences indissociables. C’est bien dommage de n’avoir pas mieux relu les travaux de Pierre Patout pour en poursuivre le sens.
La Rédaction / Xavier Guillon et Lucie Cluzan – Photos Gaspar Païva
Photo à la Une et maquette – copyright Ville de Tours
Est ce une ville en jardin à la Française ou est ce une ville a la Le Corbusier
Est ce que l’Architecte Patou ne reprend pas plutôt les plans de la ville moderne imaginée par Le Corbusier (qui soit disant passant a été rabaissé au plan de petit fasciste ) avec de grande avenues bordées d’espace et mettant en avant des bâtiments publiques au caractère justement « Monumental » en imposant ce même service publique.
Ou alors est ce un plan à la Haussman voulant écraser et affronter la commune avec cette place où est organisé tous les ans une commémoration de la légion étrangère quand même a coté de la Bibliothèque.
Ou ce trouve aussi d’ailleur une Fontaine édifiée en l’honneur de ces chers Américains venus nous libérer
Pour ce qui est des deux hotels Hilton de chaque coté de la rue Nationale n’oubliez pas que ce projet a été dans un premier temps présenté comme un poisson d’Avril dans la NR du justement 1er Avril.
D’où peut-être une incrustation dans l’inconscient collectif que ce projet ne serait qu’un canular.
Salutations, un sujet vraiment sympa.
Dans une récente interview de Franck Charnassé (Architecte des Bâtiments de France) pour le magazine 37°, j’apprécie particulièrement deux propos :
Le premier : “Comme dans un film, la ville obéit à une succession de séquences. Si vous gardez le même plan pendant deux heures, vous ennuyez le spectateur.” J’adhère totalement à l’idée, même si je la reformule. Oui, comme dans un film, la ville (la scène) est constituée de successions (les séquences).
Et puis le second, c’est lorsque Franck Charnassé évoque le travail de Pierre Patout : “Ensuite, quand on regarde au sud, la perspective se resserre et prolonge la longueur de la rue Nationale. Personne ne le remarque, mais il existe à cet endroit un jeu d’optique typique du XVIIIe siècle qui fait que la rue a l’air deux fois plus longue dans un sens que dans l’autre.” C’est effectivement magnifique.
Il y a de quoi s’esclaffer à lire cet article. Ce projet est de l’anti Pierre Patout, de l’anti « ville jardin » : du béton partout, un entassement de gros cubes, de temps en temps un arbre en bac. La puissance comm’ de la ville est impressionnante. Quant à l’ABF Frank Charnassé, au départ opposé au projet (sévères réserves dans l’enquête publique), il a retourné sa veste et a fini par se faire embaucher par la métropole de Tours.
Mais de quoi parlez-vous quand vous dites : « Il y a de quoi s’esclaffer à lire cet article »; j’avoue ne pas comprendre pourquoi vous vous en prenez au rédacteur de l’article. J’ai l’impression que nous sommes d’accord au moins sur plusieurs choses, et surtout que « la puissante comm’ de la ville est impressionnante » comme vous l’écrivez. Alors je cherche quel est notre point de désaccord, et je me dis que peut-être il est dans mon commentaire ou j’écris : « j’apprécie particulièrement » (en évoquant Franck Charnassé). Et là, je me dis que très certainement vous n’avez pas lu « l’ironie ». Je relie une dernière fois votre « plume », et je me dis pour finir que peut-être est-ce moi qui vous ai mal lu et que vous vous esclaffiez parce que vous étiez d’accord avec mes propos, que vous formuliez par : « Il y a de quoi s’esclaffer à lire cet article ». Sincères salutations, ami lecteur.
Effectivement, je n’ai pas vu d’ironie dans cet article. Je n’y ai perçu que la reprise de la comm’ municipale qui veut que le projet en cours de construction du « haut de la rue Nationale », renommé « Porte de Loire », soit conforme à celui de Pierre Patout et à son idée de « ville jardin », ce qui me semblait mis en exergue dans le titre.
A la relecture, je change d’avis, c’est d’abord un hommage à la ville jardin et, sur ce point, vous êtes effectivement réservé sur le nouveau projet. De façon à mon sens un peu trop diplomatique tant il y a de quoi s’insurger.
En premier lieu, il y a là, une minéralisation excessive (après celle de la rue Nationale et de la place Anatole France). Un commissaire-enquêteur avait même été dans le sens d’une arborisation, en recommandation. Je rappelle que dans ces enquêtes (qui ne sont maintenant que des consultations bidonnées), les Tourangeaux se sont très majoritairement opposés au projet, que le maire Bouchet a brièvement voulu le remettre à plat et que les contraintes financières engagées par les municipalités précédentes l’ont empêché.
Il y a, comme ailleurs à Tours, une emprise terrible du lobby immobilier qui veut rentabiliser au maximum tout espace mis à sa disposition. C’est particulièrement frappant pour les abords du cloître Saint Julien, que j’estime saccagés.
Plus généralement, il y a dans les services municipaux une culture de la minéralisation, une peur de la nature et des grands arbres (seuls subsistent ceux du XIXème siècle en lente voie de disparition) qui se concrétise par des arbres-objets placés dans des bacs qui dégagent du CO2 (par leurs transports) plutôt que d’en absorber. Tours ne mérite plus son titre de capitale du jardin de la France. Heureusement, il reste les coulées vertes et bleues de la Loire te du Cher, qu’une Préfète déconnectée a interdit d’accès durant huit semaines, sans aucune réaction politique (et c’est révélateur…). Bref, on n’est pas sorti d’affaire, une révolution verte ne peut être que lointaine, même si sur les papiers électoraux elle est programmée.
Sur cet aménagement, il serait encore possible de limiter les dégâts : des grands arbres, des toits en ardoises. J’espère qu’un nouveau maire aura cette volonté. Ce serait un premier pas significatif.
Merci d’avoir corrigé ma première réaction.