En 1976, l’architecte espagnol Ricardo Bofill déclare : « Le logement idéal n’existe qu’en rêve et on peut en effet rêver d’un espace vivant et complexe qui réunirait les qualités de la tanière, de la minka japonaise et du home anglais, trois modes d’habitat animal parfaitement conséquents ». Aujourd’hui encore, le logement idéal n’existe que dans nos rêves. Nos maisons restent exagérément rigides dans l’organisation de leurs espaces. Mal conçues, elles génèrent le handicap. Alors, est ce une utopie que de repenser notre façon d’habiter ?
La naissance d’un concept en occident : la machine à habiter
Déjà dans les années 20, Le Corbusier élabore l’idée d’une maison pour habiter. Pour l’architecte, l’ensemble des codes sont à bousculer : « Il faut transformer les usages, tamiser le passé et tous ses souvenirs à travers les mailles de la raison ». Il précise : « étudier la maison pour homme courant, « tout venant », c’est retrouver les bases humaines, l’échelle humaine, le besoin-type, la fonction-type, l’émotion-type ». Pour Le Corbusier, c’est aussi par les notions d’usage, de moment, que la maison doit fonctionner.
Une vieille idée venue d’orient : la maison évolutive
L’idée n’est pas nouvelle. Dans certaines régions du monde, l’habitat depuis longtemps n’est pas abordé avec des frontières comme nous en avons l’habitude en Europe. Il est conçu pour s’adapter aux différents moments du quotidien et de la vie.
Au japon, l’espace à vivre traditionnel répond à cette façon d’habiter. Son volume, facilement transformable, doit autoriser les besoins d’usage présents et futurs. Aidé en cela par un mobilier réellement mobile et réduit à l’essentiel, et par de vastes espaces de rangement intégrés à la structure du bâti, la pièce vide prend fonction de chambre ou de salon au fil de la journée. L’intérêt de la maison japonaise (minka) rappelle Ricardo Bofill, c’est que « l’espace est modulable et indéfini et qu’il se plie aux usages de la quotidienneté en permettant une grande diversité des comportements« .
Plus près de chez nous, aux Pays-Bas, « la maison Schröder de Rietveld », construite en 1924, est née d’une étroite collaboration entre le designer et architecte Rietveld et sa cliente Truus Schröder-Schräder qui souhaitait une maison adaptée aux besoins de ses enfants. Si le plan du rez-de-chaussée reste assez traditionnel, avec des pièces délimitées par des murs, le premier étage est quant à lui un vaste espace que des cloisons coulissantes permettent de diviser au gré des envies et des besoins. Ouvertes, les trois chambres s’effacent pour devenir un lieu de partage et de jeu. Refermées, elles redeviennent l’espace privé nécessaire à chacun. Dans cette vision « privé-public », les zones de circulation, et d’usage privatifs restent marquées par une coloration choisie (sols et cloisons) qui marque l’identité et la spécificité de chaque subdivision.
D’un bon espace à vivre, à l’habitation universelle
Dans l’idée d’habitation universelle, l’utilisateur et l’usage sont placés au centre de « l’habiter ». En prenant en compte les besoins de chacun, la conception de l’espace et des équipements limite la complexité inutile, facilite l’exactitude et la précision pour l’utilisateur, fournit une capacité d’adaptation au rythme de chacun. L’agencement de l’espace est conçu pour des utilisateurs tous différents, avec des capacités évoluant au fil du temps.
En découle par évidence, l’utilisation pour y arriver, du concept de la « conception universelle » ou « universal design » qui pourrait être défini comme une approche de création de tout aménagement, produit, équipement, programme ou service qui puisse être utilisé par toute personne sans nécessiter d’adaptation spéciale.
Vers l’habitation intelligente, une habitation connectée
Si hier, les innovations technologiques faisaient défauts, de nos jours elles ne manquent pas et les concepts non plus. On peut citer les parois vitrées qui s’opacifient selon les envies et besoins, les matériaux isolants (phonique, thermique…), les matériaux conducteurs d’informations, les systèmes de parois mobiles, les adaptateurs de lumière qui proposent une intensité lumineuse adaptée, les capteurs de données relatives à la santé (mentale/physique, thermique, rythme cardiaque), les équipements connectés qui suggèrent des actions.
A tout moment notre habitat est ainsi en capacité d’être en adéquation avec notre corps et nos besoins. On peut ainsi vivre pleinement toutes les étapes de son existence chez soi : avoir une chambre de plus ou de moins pour accueillir ses enfants, ses petits-enfants, ses amis, organiser son intérieur selon l’évolution de ses usages et de ses capacités.
Une ouverture de perspectives pour l’habitat et son adaptation au plus grand nombre.
Un article de Carine Babet (ergonome à Aménagement POUR TOUS) et Xavier Guillon pour VILLADéco-lemag