Un livre de Mona Chollet (journaliste au Monde Diplomatique et co-animatrice du site peripheries.net)
Dans l’interview de Johanna Luysseni pour Libération réalisé en avril 2015, l’auteur explique : “Il m’a semblé important d’articuler mon propos autour de deux notions : le manque d’espace et le manque de temps. Le second est moins évident à décrire que le premier, mais tout aussi important. J’ai voulu expliquer pourquoi on a autant de mal à trouver un endroit où se poser – ou alors de ne pas en avoir du tout, ou alors insalubre, ou trop petit, ou surpeuplé, ou trop cher. Ou excentré de son lieu de travail : on passe donc du temps dans les transports. Par conséquent, on passe moins de temps chez soi. Le fait est qu’on nous pousse régulièrement à acheter le dernier canapé à la mode, mais on n’a pas le temps de s’y avachir. Il y a tout un marché qui vend le bonheur domestique, mais si l’on veut ce bonheur domestique, on est obligé de trimer pour se le payer. Donc on ne peut pas vraiment en profiter… Voilà l’injonction paradoxale à laquelle nous sommes soumis en permanence”.
La présentation de l’éditeur
La maison, le chez-soi : de ce sujet, on a souvent l’impression qu’il n’y a rien à dire. L’espace domestique fait même figure de triangle des Bermudes de la politique : on le perçoit comme un lieu de repli frileux, d’indifférence à la marche du monde, d’abandon sans frein à l’hypnose consumériste, entre la télévision et les gadgets électroménagers. On valorisera plutôt le citoyen concerné, actif, qui voyage, qui descend dans la rue.
Pourtant, à une époque où la vie collective semble se déliter, où le travail devient nocif pour un grand nombre de gens, où les formes de l’engagement peinent à se renouveler, le réflexe de rentrer chez soi peut revêtir une portée insoupçonnée. La maison est aussi une base arrière où l’on peut se protéger, refaire ses forces, se souvenir de ses désirs, résister à l’éparpillement et à la dissolution. Dans l’ardeur que l’on met à rêver de l’habitation idéale se réfugie ce qu’il nous reste de vitalité, d’élans, de foi en l’avenir.
C’est la thèse que veut défendre ce livre. Mais, en même temps, il aimerait saisir la façon dont le monde extérieur revient par la fenêtre, et l’acuité avec laquelle il se projette entre nos quatre murs. Quelques années après la crise des sub’primes aux États-Unis, la quête d’un logement confronte chacun à la dureté des inégalités sociales avec une crudité remarquable. Qu’il soit si difficile de profiter pleinement de son chez-soi révèle en outre notre état de « famine temporelle » et d’hyperactivité permanentes. C’est encore plus vrai pour les femmes, impuissantes à se débarrasser de l’idéal tyrannique de la « fée du logis », et toujours astreintes à l’essentiel des tâches ménagères.
En déroulant le fil rouge thématique de l’espace domestique, ce livre voudrait donc explorer quelques-unes de nos préoccupations les plus urgentes, en montrant leur nature inextricablement intime et collective.
Éditions La Découverte – label ZONES – Avril 2015