Conversation avec David d’Equainville
Un livre de Rudy Ricciotti.
éditions Textuel – Collection Conversations pour demain – avril 2013
Rudy Ricciotti est un architecte qui a le sens des mots et le goût des sens et qui aime à se faufiler entre deux idées reçues. Dans cet ouvrage, l’architecte internationalement reconnu explicite les principaux combats qu’il mène depuis plusieurs décennies, interrogeant de manière iconoclaste les enjeux et les perspectives de sa profession. Avec un réalisme éloigné de toute langue de bois, il est question : … Du salafisme architectural dominant les constructions contemporaines : une architecture qui refuse les signes de toute expression personnelle, pratiquant ainsi une forme d’exclusion contre les projets qui ne s’inscriraient pas dans le strict respect d’un minimalisme utilitaire à l’anglo-saxonne. De la fourrure verte dont se drapent tous les » tartuffes » au chevet de l’environnement avec comme étendard la norme HQE, alors qu’ils massacrent allègrement les savoirs faire des constructeurs, l’économie locale et la nature qu’ils s’imaginent défendre. De la pornographie de la réglementation dont les défenseurs et principaux bénéficiaires renouvellent le champ de pouvoir en multipliant règles et cadres normatifs, sans aucune concertation sur les réalités du métier. De la maîtrise d’ouvrage du Louvre et des coulisses du chantier du département des Arts de l’Islam, projet qui vit défiler trois Présidents de la République. Au gré des sujets, seront également abordés le lien entre art et architecture et quelques avis corrosifs sur d’autres travaux comme ceux de Rem Koolhaas.
Un nouvel opuscule de Rudy Ricciotti est toujours un événement… Passée la préface, faussement lénifiante, de David d’Equainville, le combat peut commencer. Il fait rage à chaque page. Et qui dit sport de combat, dit des coups à prendre, mais aussi des coups à décocher, et bien placés si possible. Ils ne manqueront pas tout au long de ces 96 pages…
C’est que Ricciotti sait faire le coup de poing avec les mots : la « terreur verte » de la HQE, l’inexpertise crasse des enseignants en écoles d’architecture, le minimalisme néo-moderniste à l’anglo-saxonne, les « salafistes » de l’architecture (qui vouent une « haine de la figure singulière, criant haro sur le mouton qui aurait eu le malheur d’aller se faire tondre ailleurs, de vivre et construire différemment » (p.19)) en font les frais parmi d’autres.
Mais Rudy Ricciotti ne défouraille pas à tout va (ce qui est à la portée du premier venu), il (dé)montre par l’exemple de ses propres réalisations qu’il existe « d’autres façons de bâtir, de penser et de dire les lieux » (p.19) : le Stadium (Vitrolles), le Pavillon Noir (Aix-en-Provence), le musée Cocteau (Menton), le MuCem (Marseille), en témoignent, sans oublier… le département des Arts de l’islam au Louvre (Paris).
Ce dernier opus donne lieu à un récit comique (la présentation du projet devant Jacques Chirac et le prince Al-Walid !) autant que tragique, lorsque Ricciotti décrit – sans concession aucune, on peut lui faire confiance – son maître d’ouvrage, le Louvre, « grand laboratoire du dysfonctionnement de l’Etat » (p.89), faisant « preuve d’une inculture architecturale et d’une lâcheté institutionnelle caricaturales » (p.90). Et le reste est de la même eau… Le tout ponctué de « riffs épistolaires » d’une violence et d’une drôlerie inouïes.
Le phrasé de Ricciotti – son style, oserait-on dire – se reconnaît à chaque page : sens aigu de la formule percutante (et toujours pertinente), du direct à l’estomac ; servis par un corpus lexical qui n’appartient qu’à lui : maniérisme, physicalité, covisibilité, pornocratie, minimalisme de supermarché, bêlement victimiste, etc.
Les pages les plus attachantes restent sans aucun doute celles ou Ricciotti célèbre, toujours et encore, son amour indéfectible du béton, sa haine de l’acier « intolérant », son admiration sans borne pour les compagnons du chantier, les métiers du bâtiment (coffreurs, boiseurs, charpentiers, etc.), le travail artisanal, ces « savoir-faire locaux et non délocalisables » conjugués aux exigences de l’ingénierie structure la plus pointue.
« La véritable question, la seule interrogation fondatrice devant mobiliser toute notre attention, est de déterminer si oui ou non nous sommes en mesure de transformer le réel » (p.14) pose d’emblée Rudy Ricciotti au commencement de sa conversation avec David d’Equainville. Pour conclure, dans une formulation nostalgico-sibylline : « A la croissance de la désillusion correspond celle des désirs esthétiques » (p.93). Avant de convoquer, ultime pirouette, les cinéastes Jean-Pierre Mocky et Laetitia Masson dans un dernier courrier, particulièrement hot, adressé au président du Louvre…
Entretien avec Laure Adler sur France Culture