Pour Augustin Berque, il existe quatre critères pour définir la conscience du paysage : 1/ Les mots pour dire “paysage” ; 2/ Les représentations littéraires ; 3/ Les représentations picturales ayant pour thème le paysage ; 4/ Le jardin. Il souligne aussitôt que bien des sociétés ont réuni deux ou trois de ces critères sans avoir pour autant une conscience nette du paysage comme entité particulière. (D’après une note de l’architecte Jacques Dumarçay)
Petit rappel de l’auteur
La notion de paysage n’apparaît en Europe qu’au XVIe siècle, c’est-à-dire au début des temps modernes. C’est là plus qu’une coïncidence : il y a en effet un lien organique entre le regard que les Européens allaient désormais porter sur le monde, et la manière dont leur civilisation, petit à petit, allait le transformer.
Lu dans l’article “En plein cœur du paysage”, publié dans libération en avril 1995
Marc Ragon, l’auteur de l’article écrit : “Pour devenir un «paysage», l’«environnement» est décomposé et recomposé par l’artiste, déformé selon des critères esthétiques particuliers, qui varient d’une époque à une autre et d’une civilisation à une autre. A l’extrême, il faudrait même dire qu’un paysage n’existe pas vraiment […] Notre cerveau contient en somme les lois de transformation de l’environnement en paysage. Ces lois répondent à une nécessité: le paysage est une façon de faire «parler» l’environnement, de lui donner une identité tandis que l’écologie et la géographie «ne nous disent rien des raisons pour lesquelles un paysage nous parle ou ne nous parle pas». Elles ont le tort d’en faire un simple «objet», sur lequel il sera alors possible d’agir en fonction de critères purement utilitaires. Les remembrements, l’«entretien» des forêts qui transforment une région en de vastes champs ou en un alignement de sapins, aboutissent à une dégradation qui peut aller jusqu’à «tuer» le paysage: ce dernier ne nous «parle» plus. Le fait que l’une des caractéristiques essentielles d’un paysage soit de nous parler, se retrouve dans la richesse des langues.”
En conclusion, il reprend la pensée d’Augustin Berque : “L’apparition du paysage en Occident est un trait de notre modernité.” Et ajoute que le philosophe constate que nous vivons aujourd’hui un dépassement de cette modernité, en avançant pour preuve notre tendance à «geler les paysages» à travers des réalisations monumentales qui uniformisent notre environnement”.
Trois idées de l’auteur reprises dans une note de lecture de Charlotte Castan, géographe, rédigée en 1993
Le paysage n’est ni une évidence matérielle et naturelle, ni une essence conceptuelle, mais il nait toujours d’un regard relatif – comme à travers une fenêtre – sur un milieu. Et les fenêtres changent de forme, de cadre, de verre ou de perspective selon les cultures, les mémoires et les individus.
Le paysage n’existe que s’il est mot, image, texte et jardin.
L’éthique des pratiques paysagères est fondée sur le dialogue des âges et des civilisations, une alliance juste entre ce qui tient de la mémoire et du présent, du monde physique et du monde sensible.
Et surtout, ce qu’en dit un lecteur rencontré sur le Web qui a aimé l’ouvrage
Ce livre remarquable s’adresse non seulement à l’intelligence du géographe, mais aussi à celle de l’urbaniste, du philosophe, de l’historien, de l’architecte, de l’anthropologue, de l’ingénieur peut-être. C’est un livre-pont, qui transcende les disciplines, puisqu’il met en relation le sujet et l’objet, la matière et l’esprit, loin de la pensée cartésienne. Car, contrairement aux pierres et aux chimères, le paysage n’a pas toujours existé. Il surgit, pour la première fois au monde, en Chine, vers le troisième siècle de notre ère, puis en Europe, douze ou treize siècles plus tard, au début des temps modernes. Pas de «paysage» donc dans la Grèce ancienne, dans l’Empire romain, pas plus au Moyen Âge, non plus chez certaines peuplades de l’Amazonie, de l’Afrique, de l’Australie, pas davantage dans l’Islam. Un plissement montagneux, une plaine alluviale, un lac de cratère ne sont en rien des paysages. Le paysage n’est pas un objet mais un rapport : un certain rapport entre une culture et une nature, une société et son environnement. Ce rapport relève à la fois du physique et du phénoménal, de l’écologisme et du symbolique, du factuel et du sensible. C’est le sens d’un milieu. Le livre d’Augustin Berque est aussi un beau livre. Visuellement beau. Comme un beau paysage.
Éditeur : Fernand Hazan (réédité en 1998, mais encore épuisé)