Accueil > Médiathèque > Livres > Un livre – Réparons la ville

Un livre – Réparons la ville

Propositions pour nos villes et nos territoires.

Nous aurions pu rédiger une simple fiche de lecture, nous avons préféré entrer un tout petit peu dans le livre ; une façon de mieux comprendre, comme le rappelle l’architecte urbaniste Christine Leconte, « que tout ce livre est une longue conversation » entre deux spécialistes de l’urbain.

Nos villes sont les grandes oubliées du débat politique. Elles fondent pourtant nos relations humaines. Leur construction doit être culturelle et sensible pour répondre à nos besoins. Au moment où nous entamons une décennie décisive pour l’avenir de l’homme sur la Terre, nous ne pouvons plus attendre : il faut proposer une vision courageuse de la ville, à la hauteur des enjeux du siècle. Une vision qui tienne compte de ses habitants comme du ménagement de la planète. Mais alors qu’il y a urgence à adapter la ville qui nous entoure aux chocs qui commencent, nous privilégions encore l’étalement urbain et la construction neuve. Dans ce livre, les auteurs sont optimistes : puisque l’essentiel de la ville de 2050 est déjà là, il est temps d’en assumer l’héritage et d’engager sa transformation. Comment faire ? En réparant la ville pour la rendre adaptable à nos envies et nos besoins. En bâtissant une ville qui donne envie d’y vivre. Un livre écrit à deux voix, à l’attention des citoyens comme des décideurs. Un ouvrage sur nos villes, pour nous tous.

Préambule de Réparons la ville

Christine Leconte : Il faudra que l’on explique dès l’introduction que tout ce livre est une longue conversation entre nous qui s’étale sur plusieurs mois.

Sylvain Grisot : Oui, un ouvrage écrit à deux voix plutôt qu’à quatre mains. D’ailleurs il pourrait s’ouvrir par un dialogue ? On pourrait se présenter et raconter pourquoi on a besoin de prendre la parole. Tu veux commencer ?

Christine : Alors on y va. Je suis architecte et urbaniste, et j’enseigne à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles. Au début de ma pratique, je me suis rendu compte qu’il était difficile de mettre en œuvre ce que nous apprenions à l’école d’architecture, au détriment de la qualité de nos espaces de vie. Pour faire son travail d’architecte correctement, il faut dépenser une énergie folle alors que parfois il s’agit uniquement de bon sens ! J’habitais alors en grande banlieue parisienne où tout devait être fait en voiture. Mes aspirations habitantes, mes préoccupations écologiques et ce que l’on construisait autour de moi ne coïncidaient pas… Était-ce le monde que nous voulions laisser à nos enfants ? Alors, progressivement, je me suis engagée dans différentes instances jusqu’à devenir présidente du Conseil national de l’ordre des architectes, pour montrer que l’architecture apporte des solutions concrètes aux défis écologiques et sociétaux que nous avons à relever.

Sylvain : Je suis un urbaniste qui fabrique la ville sur la ville, comme on dit dans la profession. J’invente un avenir à des friches ou de futures friches. Je fais ça depuis une quinzaine d’années, et plus que ça depuis que j’ai créé mon agence. Enfin, pas que ça, puisque j’enseigne aussi un peu et passe pas mal de temps à écrire et à faire de la recherche pour prendre du recul sur ma pratique. Ça fait quelques années que j’ai le sentiment que l’on a une façon de fabriquer nos villes en contradiction avec les enjeux planétaires, mais que les alternatives peinent à décoller. Je n’arrive pas à me résoudre à la destruction de terres agricoles pour y étaler des lotissements et des zones de tout type, alors que les friches et les bâtiments vacants se multiplient. Alors j’ai écrit un livre là-dessus, pour partager des questions plus que mes certitudes. C’était une façon de commencer une réflexion qui est encore loin d’être achevée, mais aussi de faire beaucoup de rencontres très riches qui me permettent de cheminer. Et toi, Christine, qu’est-ce qui te préoccupe dans la façon dont on fait nos villes ?

Christine : Ce qui m’alerte le plus est le manque de vision globale des décideurs. On ne réfléchit plus à l’aménagement du territoire depuis plusieurs décennies. On devrait plutôt ménager notre territoire et apprendre à faire avec le vivant. J’avais envie d’écrire ce livre pour essayer de révéler les défis qui nous attendent et proposer des pistes pour concilier un cadre de vie de qualité pour les habitants, préserver nos ressources et apporter plus d’attention aux milieux vivants.

Sylvain : C’est le moment d’écrire ce livre, parce que c’est le moment de passer à l’action. D’amorcer cette transition dont on parle beaucoup, mais qui peine à passer en actes. Quand on pense et qu’on fabrique la ville, on a des responsabilités immenses. Sur le terrain je rencontre des professionnels et des citoyens qui ont compris qu’il allait falloir changer. Les enjeux sont encore un peu flous et il faut prendre le temps de les comprendre. Et puis si beaucoup savent pourquoi il nous faut faire la ville autrement, reste à expliquer comment le faire et à rassurer face au changement. Si cette décennie est décisive, c’est qu’elle doit permettre de faire converger les aspirations des individus et la volonté des décideurs.

Christine : Aller vers cette nouvelle vision pourrait nous rendre collectivement fiers et heureux. Arrêtons d’être accros au neuf, continuons à construire mais autrement. Certains espaces devront être réhabilités, réinventés, voire déconstruits, mais nous avons un patrimoine formidable sur lequel nous appuyer. Proposons de réparer cette ville au lieu de chercher à en construire une autre. L’image de la réparation nous renvoie à des souvenirs d’enfance : par exemple lorsque nous étions fiers d’avoir réussi à réparer notre vélo. C’est bien sûr plus complexe avec la ville, …

Un extrait du second chapitre de Réparons la ville : La ville du futur est déjà là.

Sylvain Grisot : Cela fait un demi-siècle qu’on consacre l’essentiel de nos efforts à construire du neuf toujours plus loin. Mais aujourd’hui, on a des virages à prendre, et vite. Nous oublions que la ville se renouvelle tout doucement, 80 % de la ville de 2050 est déjà là ! Les enjeux de l’adaptation de la ville existante sont donc la priorité, et le neuf devrait être construit avec beaucoup plus d’exigence.

Christine Leconte : On est toujours dans le modèle de réponses aux crises du XXe siècle, avec des politiques du logement centrées essentiellement sur la relance par la construction neuve. « Quand le bâtiment va, tout va », ce slogan a la vie dure. Mais aujourd’hui, nous sommes dans des crises d’une autre nature, qui remettent en cause l’existence de l’humain sur Terre. La réponse ne peut pas venir des modèles d’avant.

Sylvain : On annonce régulièrement un nouvel objectif de construction neuve. Ces chiffres ronds font des slogans qui claquent, mais rarement changer les choses. On produit bon an, mal an trois cent cinquante mille logements neufs chaque année, mais les variations de rythme sont plus liées à la conjoncture mondiale et aux échéances électorales qu’aux effets de nos politiques du logement. On a besoin de plus de logements avec les séparations et le vieillissement de la population, mais on en construit déjà deux fois plus que l’augmentation du nombre de ménages. Et pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et nos consommations de ressources, on va être obligés de réduire ce rythme.

Christine : On oublie beaucoup de choses dans ces débats. Nous avons plus de trois millions de logements vacants en France qui ne sont pas habités aujourd’hui, et ce nombre augmente rapidement. Alors bien sûr, une partie n’est tout simplement pas au bon endroit, mais beaucoup pourraient faire l’objet de réhabilitations pour recréer une offre de logements de qualité dans les centres urbains. Dans les secteurs les plus tendus, on a aussi une vacance spéculative et l’évaporation d’une partie du parc locatif au profit de plateformes de locations touristiques. Il faut remédier à ça.

Sylvain : On débat de ce faible flux de nouveaux logements, alors que les enjeux concernent tout le stock des trente-six millions de logements français. Et chaque segment du parc pose des questions différentes. Il y a celle du logement d’urgence, toujours saturé malgré l’augmentation du nombre de places. Celle du logement social dont la production doit à tout prix reprendre, car il est en première ligne face à une précarisation croissante d’une partie de la population. Dans les métropoles attractives, l’envolée des prix du locatif et l’absence d’offres d’accession abordables pour des familles sont criantes. Dans les villes moyennes il manque aussi de logements permettant d’étudier ou de bien vieillir dans les centres. Chaque maillon de la chaîne mérite notre attention et le parcours de chacun doit se fluidifier, permettant aux Français de trouver un logement adapté à toutes les étapes de leur vie.

Christine : En ne se concentrant que sur des chiffres, on en oublie de se demander pour qui sont ces logements et de parler de leur qualité. Habiter la ville, ce n’est pas qu’avoir un logement. Il y a une multitude d’espaces bâtis ou non bâtis qui doivent bien s’agencer pour répondre pleinement à nos besoins. Les pénuries de matériaux nous rappellent aussi l’évidence de la crise des ressources qui s’amorce. Cela nous questionne sur la valeur de ce que l’on démolit. Il est temps de cesser de jeter, et de réparer la ville. Tout ce qui tient debout doit être envisagé comme une ressource et respecté.

[…..]

Sylvain : Il va falloir rompre avec l’idée que la ville est pleine, que l’on ne peut plus rien y faire et que la construction neuve en périphérie s’impose à nous. Des espaces trop denses existent en France, mais ils sont rares. La plupart de nos villes, des métropoles aux plus petits villages, regorgent d’espaces urbanisés qui pourraient être mieux utilisés. On a tellement de friches qu’on est incapables de toutes les compter. Rien qu’en Île-de-France, les premiers recensements ont permis de repérer plus de 2 700 sites pour pas moins de 4 200 ha. Nous avons pléthore d’équipements publics aux horaires d’ouverture étriqués qui pourraient servir plus. Et puis, il y a ce fameux périurbain dont il faut arrêter l’extension sur les terres agricoles. Mais le périurbain, c’est aussi de la ville, de la vraie ville. Accepter cet héritage, c’est d’abord en finir avec le regard condescendant sur ces territoires dans lesquels vivent un bon tiers des Français. Le problème d’hier peut devenir la solution de demain en maillant ces territoires de voies douces, en y aménageant des centres de vie, en réhabilitant toute une partie du parc de maisons aujourd’hui sous-occupées et mal isolées, et en construisant des neuves à côté de celles déjà là.

Christine : La seule réponse qu’on apporte à ces quartiers de lotissements est soit de les figer, soit de les remplacer par des logements collectifs. On voit disparaître progressivement du patrimoine démoli pour construire une ville extrêmement standardisée. On pourrait faire émerger une densification douce de maison entre deux autres, de petits commerces, d’extensions tout en repensant l’espace public. Ces mutations existent, mais elles se font discrètes, souvent sans les élus. On retrouve parfois des studios au fond de jardins aménagés qui sont des logements touristiques ou étudiants, et qui contribuent à une forme de densification qui respecte le tissu urbain existant. Comment organiser et accélérer ces mutations sans perdre la qualité des lieux ?

Sylvain : Organiser ce type de transformation nécessite des changements de rôle et de nouveaux savoir-faire. Rajouter quelques logements sur le toit d’une copropriété pour payer sa réhabilitation globale ou faire de la densification douce dans des espaces pavillonnaires, ce sont des exercices différents de ce qu’on fait depuis un demi-siècle. Il faut admettre que réparer la ville déjà là, ce n’est pas seulement plus compliqué, mais c’est aussi un autre type de pratique. C’est une forme d’artisanat, car ce sont des objets non standard. Il faut à la fois développer des compétences très spécialisées, sur la connaissance des structures existantes, sur la pollution des sols ou l’écologie urbaine, mais aussi avoir des professionnels qui ont la capacité d’animer des projets qui mobilisent beaucoup de gens qui ne parlent pas le même langage.

Christine : Il va y avoir une mutation profonde des métiers. Le métier d’architecte va beaucoup changer, même si les fondamentaux restent solides : nous ne sommes déjà plus sur l’acte de bâtir du XXe siècle, mais sur la dentelle du XXIe. Il y a de nouvelles missions en amont de la conception, avec le conseil et la programmation. Émerge en parallèle un nouveau positionnement, favorisant l’écoute et la construction collective des projets. Les métiers de promoteur ou d’aménageur vont aussi devoir muter en s’interrogeant notamment sur l’importance de la ressource.

Sylvain : Plein de nouveaux métiers passionnants vont apparaître : urbaniste des temps, ingénieur en non-construction, picopromoteur, animateur des mutations pavillonnaires, aménageur agricole, écologue urbain, paysagiste du macadam… Il y a une vraie créativité formelle à développer pour rendre désirables les transformations de la ville qui nous entoure, mais cette créativité doit s’étendre aussi aux programmes, aux modes de gestion et aux montages opérationnels, juridiques ou financiers. Le rôle et les outils traditionnels de chacun sont perturbés, et la méthode de fabrication de la ville devient un vrai sujet de conversation.

Christine : On a donc aussi besoin que quelqu’un anime ce dialogue pour qu’il soit sincère et utile. Je pense que l’élu local a un rôle important à jouer sur ce sujet et que l’architecte devra l’accompagner. Certains ont compris que leur rôle est en train d’évoluer. Les budgets participatifs par exemple font émerger la participation citoyenne, avec un élu qui n’est plus seul décideur, mais garant de la démarche. On est au balbutiement de la transformation de la fonction de l’élu, mais si on y parvient, il aura vraiment une place essentielle à l’articulation du public et du privé, du commun et de l’individuel.

[…]
Les auteurs

Christine Leconte est présidente du Conseil national de l’ordre des architectes depuis juin 2021. Enseignante à l’ENSA-Versailles, son engagement est écologique, social et culturel. Elle prône le droit à l’architecture pour tous, et pousse le développement des solutions pionnières qui existent en urbanisme et en architecture pour s’adapter et atténuer les effets du changement climatique.

Sylvain Grisot est urbaniste et fondateur de dixit.net, une agence de conseil et de recherche urbaine résolument engagée pour les transitions de la fabrique de la ville. Conférencier, enseignant et chercheur, il est l’auteur du Manifeste pour un urbanisme circulaire (Éditions Apogée, 2021), dans lequel il invite les acteurs de la ville à faire la transition pour une ville frugale, proche, résiliente et inclusive.

Date de parution : 09/02/2022 / Éditions Apogée

L'auteur : La rédaction

Les rédacteurs et photographes du magazine écrivent des paysages et des horizons.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *