Quelques livres sont magiques. En les ouvrants, au-delà du sujet qu’ils traitent, un voyage se construit au fil des pages, au fil d’une géographie qui est ici, et aussi parfois bien plus lointaine. Le héros du livre est architecte. Son nom est Georges Candilis. Il est Grec, Russe, Français. Il vient de Bakou, vie d’abord à Athènes, puis à Paris. Il nous emmène dans l’utopie d’un immense chantier, celui d’une architecture qui écoute pour comprendre. Il n’y a plus qu’à le suivre, ouvrir la première page.
“- À une heure de bateau du Pirée, quelque part à l’intérieur de l’île d’Égine, un paysan nommé Rhodakis a construit une maison de ses propres mains. Sa maison, située au milieu des vignes, elle se dresse sur les collines qui dominent de tous côtés la mer ouverte. Allez la voir, ouvrez les yeux et essayez de comprendre.
C’était en 1933. J’avais vingt ans, et j’étais étudiant en architecture à l’école polytechnique d’Athènes. Celui qui m’envoyait à la découverte de la maison d’un homme était mon maître, un professeur étonnant, un philosophe, un peintre, un poète, tout sauf un architecte au sens classique du terme : Dimitri Pikionis.
En chemin, je me renseignais (…) Et je parvins à découvrir la maison complètement intégrée au paysage, d’une extraordinaire beauté. Je vis un vieux paysan. (Je le saluais). Il me répondit réservé, soupçonneux : Bonjour. Qu’est-ce que tu veux ?
-C’est vous qui avez construit cette maison ?
-Bien sûr, bougonna-t-il. Tous les gens ici construisent leur maison (…)
Sa maison était composée d’une succession de volumes cubiques liés en un seul ensemble, avec de simples ouvertures qui étaient les fenêtres, là où il fallait, exactement à la dimension qu’il fallait.
Je posais beaucoup de questions, spontanées, maladroites, qui heurtèrent le vieil homme parce que je violais son domaine réservé. Mais petit à petit, sa froideur se dissipa. Alors en l’écoutant, je découvris un trésor d’imagination et de pensée qui, pour moi, devait représenter plus tard l’essentiel de l’architecture”.