Officiellement, le commerce de proximité regroupe les commerces de quotidienneté (1) répondant à des besoins courants ou de dépannages et les Français estiment pour leur part que les commerces de proximité jouent un rôle fondamental dans l’animation du quartier. Un rapport de l’INSEE indique que leur nombre en zone urbaine – alors qu’il était en légère diminution entre 1993 et 1999 – augmente régulièrement depuis.
Selon les statistiques, le commerce de proximité en ville se porterait donc plutôt bien. Pourtant, il n’est pas rare de voir dans de grands centres urbains les magasins traditionnels fermer le rideau et même des rues entières s’assombrir faute d’animation commerciale. Ouvertures, fermetures… les rues de nos quartiers vivent au rythme cadencé de la création et de la disparition des petits commerces. Nous avons cherché à comprendre.
Le commerce dans le quartier, une illusion romantique ?
Les plus pessimistes accusent la Grande distribution et l’e-commerce. Ils ont en partie raison. Et c’est ce que confirme aussi Cédric Ducrocq le PDG du groupe Dia-Mart (société de conseil en grande distribution) lorsqu’il dit : “Demandez à tout un chacun où il préfère faire ses courses, il vous répondra, le centre-ville. Mais ce n’est que théorie, la représentation romantique du commerce. Sauf qu’en réalité ce n’est pas ça.” Il y aurait donc une représentation romantique du commerce qui entrerait en contradiction avec la réalité de l’acte d’achat. Surprise !
N’étant pas convaincus par la formule littéraire d’un expert en matière de grande distribution, nous nous tournons vers les chiffres. La ville de Toulouse, alors que la circulation des automobiles est de plus en plus limitée annonce une augmentation de 23 % des piétons le samedi dans une rue devenue piétonne. Oui mais, si la rue est noire de monde, les acheteurs n’y sont pas si nombreux affirment les commerçants indépendants de la rue. En contradiction, une étude annonce que le chiffre d’affaire global en centre-ville aurait augmenté de 11 % en deux ans (étude réalisée par la ville de Toulouse en février 2014). “Ces chiffres ne concernent que les franchises, pas le commerce indépendant” affirme un commerçant qui ajoute “Vous n’avez qu’à regarder au fil des rues le nombre d’enseignes qui ferment et qui parfois durant des années, ne trouvent pas de repreneur.”
Au regard des chiffres commentés, on en déduirait que plus de piétons et moins de commerces donnent au total plus de chiffre d’affaires. De là à dire que le commerce tue le commerce, il n’y a qu’un pas. Et nous n’avançons pas.
Lorsque le commerce joue dans le rythme.
Pour Marc Filser, professeur de marketing à l’IAE (Institut d’Administration des Entreprises) de Dijon, le principal problème est que l’ouverture d’un magasin est “de moins en moins tenable en raison du coup foncier et de la fiscalité locale”. À cela s’ajoute, “la difficulté d’accessibilité (logistique des achats), l’absence trop souvent de locomotives, la faible différenciation des enseignes par rapport à la périphérie, les horaires d’ouverture (fermetures méridiennes et vespérales)”.Il ajoute que le centre-ville a pourtant ses forces. Pourquoi ne pas y croire ?
Le commerce s’inscrit dans le quartier. Il vit dans et avec le quartier, d’une évidente utilité quotidienne, mais aussi par le jeu de stimulations professionnelles. Chacun sait pourquoi il habite tel ou tel quartier. Il l’aime ou pas. Mais le quartier reste un lien social, un lieu d’échange humain que le développement d’une judicieuse offre commerciale de proximité ne peut qu’améliorer.
Et si le quartier devait tout simplement réapprendre à vivre au rythme des mouvements de la population qui le fréquente ? Dans certains quartiers la vie de jour l’emporte, dans d’autres c’est le soir. Tout s’organise autour de ce mouvement. Dans ces quartiers-là, la petite épicerie reste ouverte tard le soir. L’épicier est connu des consommateurs de la nuit. Il fait la plus grande partie de son chiffre d’affaires entre 20 heures et 22 heures. Si l’on reprend dans le passé américain la création de villes (visionnons quelques vieux westerns ou encore reprenons la lecture de Lucky Luke), on remarque que les commerces s’installent d’abord pour répondre à la demande de ceux qui y viennent et y passent. La ville nouvelle en France, ce n’est pas ça. La ville est créée de toute pièce par des urbanistes et architectes pour loger 5 000 à 10 000 habitants. Et puis, on y greffe des commerces initialement invités par les promoteurs. Ils s’installent en réponse à un cahier des charges. L’ajustement efficace entre l’offre et la demande a du mal à s’effectuer, d’autant que dans ces quartiers, le type de population est changeant et que trop souvent le commerçant n’habite pas le quartier. De vingt ans en vingt ans nous n’avons plus la même population, ni les mêmes besoins. Alors, dans ces quartiers, au fil du temps, on constate plus de fermeture de boutiques que d’ouvertures. Une raison à cela : il n’existe pas de lien social entre la population et les commerçants.
De nos longues discussions et recherches, il n’est ressorti ni réponse absolue, ni modèle. Des questions sont régulièrement revenues dans nos propos :
- Quels sont les besoins des occupants du quartier ?
- Pourquoi d’autres habitants viennent-ils les rejoindre ? Quelle motivation, quelle locomotive pourrait les attirer ?
Deux affirmations aussi : C’est de la vie des quartiers dont il s’agit, certainement pas de la vie des enseignes, ni de politique urbaine. Oui, il existerait bel et bien des liens d’intérêt à entretenir entre les commerçants et les habitants du quartier.
Photos : Alain Dutour