On a régulièrement tendance à confondre paysage et panorama. Il est vrai que leurs définitions sont proches. “Le panorama est une étendue de pays qu’on découvre d’une hauteur” alors que “le paysage est une étendue de pays qui présente une vue d’ensemble”. C’est ainsi que sont définis dans le dictionnaire Larousse panorama et paysage. Pourtant d’avis de peintres, de poètes, écrivains, sociologues (…) le paysage est bien plus que le panorama, il est le lieu plus ou moins vaste où on habite. Il ne peut y avoir confusion.
Le “moi” est le point zéro du paysage
Le professeur de littérature Michel Collot (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) va plus loin encore. Il intègre pleinement le regardeur à l’espace. Pour lui, “le paysage n’est pas un pur objet en face duquel le sujet pourrait se situer dans une relation d’extériorité ; il se révèle dans une expérience où sujet et objet sont inséparables, non seulement parce que l’objet spatial est constitué par le sujet, mais aussi parce que le sujet à son tour s’y trouve englobé par l’espace.” (1) Il ajoute : “C’est un espace compté à partir de moi comme point ou degré zéro de la spatialité. Je ne le vois pas selon son enveloppe extérieure, je le vis du dedans, j’y suis englobé”. Le paysage est aussi le décor de notre existence que chacun perçoit avec sa propre histoire, sa culture, sa sensibilité. Ainsi la perception de notre environnement est unique et personnelle à chacun.
Les regardeurs marquent notre sensibilité aux paysages en commentant
En parlant du travail de Paul Klee, Joan Miró exprimait la raison de son émotion esthétique : “Klee m’a fait sentir qu’en toute expression plastique il y a quelque chose de plus que la peinture-peinture, précisément qu’il faut aller au-delà pour atteindre des zones de plus profonde émotion.” Cela s’applique aussi à l’appréciation du paysage. Le paysage n’exprime pas tout en lui-même. Il a besoin de regardeurs qui le commentent pour nous aider à atteindre l’émotion. C’est à ce moment vraiment que le tableau existe, lorsque l’on a enrichi l’apparence singulière de ce qui nous est visible pour la transformer en “perception signifiante”. Au paysage que l’on découvre s’ajoutent d’autres images sensorielles, graphiques, historiques, littéraires, communautaires… Elles ont tant d’importance qu’elles affirment la couleur et la sensation.
Le paysage est porteur de messages
Alors ce paysage, on l’organise comme un tableau. Pour la paysagiste Laure Planchais “il ne peut y avoir de paysage que par ce qu’il y a des hommes qui prennent plaisir à observer, façonner et idéaliser les territoires qu’ils habitent”. Mais l’écriture d’un paysage est surtout pour les acteurs publics, une “façon d’idéaliser un territoire”, de le rendre contemporain et social. Leur principale référence est la Convention Européenne du Paysage, adoptée en 2000, qui définit le paysage comme “une portion de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations”. Dans une note de l’Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture), on ne peut être plus clair. On lit : “La question de paysage suppose la prise en compte simultanée de la façon dont des groupes sociaux attribuent certaines qualités à un lieu et des relations que ces groupes sociaux entretiennent entre eux et/ou avec d’autres groupes. Ainsi, « le paysage » renvoie aux « aménités », dans les deux sens originels du terme : la qualité d’un lieu, la qualité d’être avec autrui (politesse, convivialité)”.
Pour les décideurs territoriaux, considérer le paysage reviendrait à imposer des “règles de vivre ensemble”. Le paysage ne serait alors que “décor social”. La perception collective est captée, voire capturée par les leaders des habitants pour en faire leur territoire politique et administratif. Il devient “décor sociétal”. Il a perdu sa substance.
- Dans Espace géographique, tome 15, n°3, 1986 – Rubrique Visions géographiques – Pages 211 – 217 – Points de vue sur la perception des paysages : article de Michel Collot