Actuellement je travaille sur les frontières, les limites, pour tenter de comprendre les raisons qui pourraient expliquer différentes façon de construire entre deux territoires mitoyens. J’étudie celles en particulier en bordure de la Loire au sud lorsque l’on vient des Pont-de-Cé et que l’on va vers le pays de Retz. Déjà, il me faut revenir dans des temps passés pour tenter de comprendre la réalité de ces notions de frontières. J’évoque les “déserts” et les “boscages” qui ont marqué si longtemps nos paysages.
Genèse et vie du mot bocage
Le mot « bocage » – dont les termes anciens de « Bôqueige » en Bourgogne, « boscatge » dans le midi, « boscage » en Espagne, et « bocage » en Angleterre viennent tous du français – est originellement issu de « boscus » (en bas latin) et de « bŏsk » (en germanique) qui ont ensuite donné : « bosc » en ancien français, puis « bois et bosquet » [forme empruntée à l’occitan, elle-même issue du français], suivi du suffixe “-age”. Quant à la forme « bo(s)cage », c’est un emprunt au normand qui a supplanté l’ancien français « boschage ». Puis le mot s’est écrit « boucaige » aux XVe et XVIe siècles. Dans le Morvan, un petit bois est d’ailleurs encore désigné « boucaige » ; et selon le premier Dictionnaire de l’Académie française (1694), « le mot bocage a les mesmes significations que Bosquet ». Le Dictionnaire critique de la langue française (Marseille, Mossy 1787-1788) précise lui, que le mot, comme l’adjectif « bocager, -ère » désigne un petit bois et qu’il n’est d’usage qu’en Poésie. Aujourd’hui pourtant, le mot est encore bien présent dans nos paysages.
Bocages et paysages
« Déjà – nous dit Magali Watteaux une spécialiste en archéologie environnementale, dans la revue Études rurales en 2005 – les érudits du XIXe siècle savaient que le bocage n’avait pas toujours existé. Les géographes ont, quant à eux, dès le départ, affirmé qu’il n’était pas originel (…) ». Cependant, pour mieux comprendre le paysage étudié, il est tout de même nécessaire d’établir une distinction entre le sens ancien du mot et sa réalité actuelle. En effet, l’étymologie prête à confusion puisque le bocage désigne aujourd’hui une construction humaine et ne naît pas de la forêt. L’ancien terme « boscage », lui, a longtemps désigné un petit bois, plutôt qu’un réseau de haies. Au XIIe siècle, le poète Wace distingue les habitants des bois et ceux des plaines : Li païsan et li vilain, Cil del boscage et cil del plain [les paysans et paysans libres, ceux des bois et ceux de la plaine]. Le « boscage » désigne ici un pays boisé, et le « plain », des champs ouverts. Au XIIIe siècle, le bocage évoque encore un milieu sauvage : près de lui estoit [le loup] es boscages, Si li a fait sovent anui la rose ; Si n’ai mès cure d’ermitages ; J’ai laissié desers et bocages (Le roman de la rose – Guillaume de Lorris [1230-1235, 4 058 vers] et Jean de Meun [qui reprend l’ouvrage en le complète en 1275-1280 avec 17 722 vers). Je lis même que pour évoquer le bois où l’on ne peut pénétrer, on utilisait plutôt dans les premiers siècle de notre ère, le terme « Auia virgulta ».
Bien plus tard, Arthur Young, un ingénieur agronome qui a effectué plusieurs voyages en France entre 1787 et 1790, écrivait : « les principales régions de clôtures que j’ai vues sont la Bretagne toute entière, la partie occidentale de la Normandie et sa partie septentrionale jusqu’à la Seine ; la plus grande partie de l’Anjou et du Maine jusqu’à Alençon. Au sud de la Loire, une immense étendue de pays est en clôture ». Cela est vrai, mais à cette époque encore, les grandes étendues de bois et de brandes sont également fort présentes. Encore, en évoquant le paysage du Bocage vendéen, Jacqueline Jacoupy dans son « Le Poitou » (éditeur : B. Arthaud, Grenoble-Paris, 1944) écrit : « L’ensemble formait encore à la fin du XVIIIe siècle une vaste forêt dont les clairières étaient les pâtures. » J’ai pu constater cela encore à la lecture d’autres documents comme certains mémoires, observations et inventaires rédigés au début de la Révolution Française de 1789 par plusieurs districts (1).
« Enfin, rappelle Magali Watteau, [il y a dans chaque type de paysage bocager] un ensemble de formes (le parcellaire) et d’habillages (modelé : talus, fossé, végétal). Il y a un objet “viaire et parcellaire”, un objet “habitat”, un objet “modelé bocager”. Chacun a sa dynamique, avec des interactions, qui ne se résume pas à une histoire synchrone et identique. Le modèle bocager est un processus historique instable dans la durée, avec des avancées et des reculs (depuis la protohistoire), des phases fortes et des rémissions ; ce qui fait que “l’embocagement” pourrait être ancien mais non spécifique de périodes ou régions particulières. »
La photo à la Une : Champs bocagers en Dordogne – Jean-Pierre Dubois