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Un livre – L’idéologie sociale de la bagnole, un texte d’André Gorz

“L’idéologie sociale de la bagnole” est le texte fondateur d’André Gorz, publié dans la revue Le Sauvage en septembre-octobre 1973.

Ce que dit l’éditeur  de la bagnole et de l’intérêt du texte

Il y a des écrits fugaces et d’autres qui restent. Mais certains, plus taquins, rebondissent d’époques en époques, comme ce texte d’André Gorz publié dans la revue Le Sauvage en 1973, qui résonne particulièrement bien avec les enjeux d’aujourd’hui.

La voiture encombre nos bronches, nos rues et nos territoires, et la rendre électrique ou autonome n’y changera pas grand-chose. Car ce n’est pas une question d’engin ou de mobilité, mais bien un enjeu culturel et urbain. C’est ce qu’expliquait déjà André Gorz il y a un demi-siècle, mais qui n’est toujours pas compris par beaucoup, quel que soit leur camp. L’irruption de la voiture dans nos villes n’a pas changé que le profil de nos rues, elle a aussi transformé nos territoires et nos vies.

(…)Mais le changement nécessaire pour rendre nos villes habitables n’est pas moins radical : mettre fin à la division systématique des fonctions et à l’étalement urbain, adapter nos quartiers pour accueillir partout tous les usages dans la proximité, décarboner et adapter le bâti existant aux changements du climat et des modes de vie, investir massivement dans les transports collectifs et tisser partout des réseaux de mobilités alternatives efficaces… C’est tout un programme dont la première étape est culturelle : faire comprendre qu’une autre ville est possible, car notre dépendance automobile n’est pas une fatalité mais un construit idéologique.

Voilà pourquoi ce texte est essentiel, nous dit Sylvain Grisot qui a choisi de rééditer le texte d’André Gorz.

Mais pour mieux comprendre comment la bagnole nous encombre, entrons plutôt dans l’ouvrage

 » Le vice profond des bagnoles, c’est qu’elles sont comme les châteaux ou les villas sur la côte : des biens de luxe inventés pour le plaisir exclusif d’une minorité de très riches et que rien, dans leur conception et leur nature, ne destinait au peuple. A la différence de l’aspirateur, de l’appareil de T.S.F. ou de la bicyclette, qui gardent toute leur valeur d’usage quand tout le monde en dispose, la bagnole, comme la villa sur la côte, n’a d’intérêt et d’avantages que dans la mesure où la masse n’en dispose pas. C’est que, par sa conception comme par sa destination originelle, la bagnole est un bien de luxe. Et le luxe, par essence, cela ne se démocratise pas : si tout le monde accède au luxe, plus personne n’en tire d’avantages ; au contraire : tout le monde roule, frustre et dépossède les autres et est roulé, frustré et dépossédé par eux.

La chose est assez communément admise, s’agissant des villas sur la côte. Aucun démagogue n’a encore osé prétendre que démocratiser le droit aux vacances, c’était appliquer le principe : Une villa avec plage privée pour chaque famille française. Chacun comprend que si chacune des treize ou quatorze millions de familles devait disposer ne serait-ce que 10 m de côte, il faudrait 140 000 km de plages pour que tout le monde soit servi ! En attribuer à chacun sa portion, c’est découper les plages en bandes si petites — ou serrer les villas si près les unes contre les autres — que leur valeur d’usage en devient nulle et que disparaît leur avantage par rapport à un complexe hôtelier. Bref, la démocratisation de l’accès aux plages n’admet qu’une seule solution : la solution collectiviste. Et cette solution passe obligatoirement par la guerre au luxe que constituent les plages privées, privilèges qu’une petite minorité s’arroge aux dépens de tous.

Or, ce qui est parfaitement évident pour les plages, pourquoi n’est-ce pas communément admis pour les transports ? Une bagnole, de même qu’une villa avec plage, n’occupe-t-elle un espace rare ? Ne spolie-t-elle pas les autres usagers de la chaussée (piétons, cyclistes, usagers des trams ou bus) ? Ne perd-elle pas toute valeur d’usage quand tout le monde utilise la sienne ? Et pourtant les démagogues abondent, qui affirment que chaque famille a droit à au moins une bagnole et que c’est à l’Etat qu’il appartient de faire en sorte que chacun puisse stationner à son aise, rouler à 150 km/h, sur les routes du week-end ou des vacances.

La monstruosité de cette démagogie saute aux yeux et pourtant la gauche ne dédaigne pas d’y recourir. Pourquoi la bagnole est-elle traitée en vache sacrée ? Pourquoi, à la différence des autres biens “privatifs”, n’est-elle pas reconnue comme un luxe antisocial ? La réponse doit être cherchée dans les deux aspects suivants de l’automobilisme.

1 – L’automobilisme de masse matérialise un triomphe absolu de l’idéologie bourgeoise au niveau de la pratique quotidienne : il fonde et entretient en chacun la croyance illusoire que chaque individu peut prévaloir et s’avantager aux dépens de tous. L’égoïsme agressif et cruel du conducteur qui, à chaque minute, assassine symboliquement “les autres”, qu’il ne perçoit plus que comme des gênes matérielles et des obstacles à sa propre vitesse, cet égoïsme agressif et compétitif est l’avènement, grâce à l’automobilisme quotidien, d’un comportement universellement bourgeois (On ne fera jamais le socialisme avec ces gens-là, me disait un ami est-allemand, consterné par les spectacles de la circulation parisienne).

2 – L’automobile offre l’exemple contradictoire d’un objet de luxe qui a été dévalorisé par sa propre diffusion. Mais cette dévalorisation pratique n’a pas encore entraîné sa dévalorisation idéologique : le mythe de l’agrément et de l’avantage de la bagnole persiste alors que les transports collectifs, s’ils étaient généralisés, démontreraient une supériorité éclatante. La persistance de ce mythe s’explique aisément : la généralisation de l’automobilisme individuel a évincé les transports collectifs, modifié l’urbanisme et l’habitat et transféré sur la bagnole des fonctions que sa propre diffusion a rendues nécessaires. Il faudra une révolution idéologique (“culturelle”) pour briser ce cercle. Il ne faut évidemment pas l’attendre de la classe dominante (de droite ou de gauche).

(…) »

Poursuivre la lecture : http://carfree.fr/index.php/2008/02/02/lideologie-sociale-de-la-bagnole-1973/

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L'auteur : La rédaction

Les rédacteurs et photographes du magazine écrivent des paysages et des horizons.

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