J’ai connu l’établissement à la fin des années 50, au temps du père Cognet qui opérait à la fois au salon de coiffure et à la buvette contiguë.
À cette époque, c’était le lieu obligé des gamins pour l’entretien régulier de leur dessus de tête. Ils appréciaient l’endroit, non pour la prestation fournie mais pour l’énorme tas d’illustrés mis à leur disposition.
Tous les jeudis, Buck John, Kit Carson, Pim Pam Poum, et autres Bibi Fricotin, plus ou moins chiffonnés, étaient échangés contre des heures d’attente sur la banquette en faux cuir accrochée au mur, face au grand miroir rococo que justifiait la profession. En effet, il était fréquent que le coiffeur abandonnât son action pour servir à boire ou trinquer de la même façon. Inutile de dire combien la concentration sur son travail pouvait souffrir de cette double activité ! Il arrivait régulièrement que le père Cognet confiât le crâne sur lequel il exerçait son art, à son fils Jean dit l’Eléphant, qui l’assistait. Réputé qu’il était Jean, autant pour son appétit et son tour de taille, que pour son aisance dans le maniement du coupe-chou. Un vrai samouraï ! Après un bon quart d’heure d’abandon, l’œuvre capillaire entreprise par le maître était ainsi poursuivie par son adjoint. Une oreille dégagée par l’un, la nuque rasée par l’autre. La tondeuse pour l’un, les ciseaux pour l’autre. Et réciproquement. L’alternance pouvait effectivement se répéter. Si bien qu’après ces différentes manipulations, c’était avec un sentiment de délivrance que le jeune patient, sans attendre la giclée d’eau de Cologne, s’évadait prestement de la boutique à tifs.
La mère passait dans la journée pour régler la séance, reconnaissante peut-être d’avoir été libérée pour un bon moment de la garde de son rejeton.
Illustration : Chez le coiffeur (Garagnon – Vocabulaire CE 17) dans le dix-septième chapitre de Jean Garagnon, Vocabulaire – Elocution – Construction de phrases CE