Dans ces dernières semaines, qui précèdent l’ouverture du CCC OD à Tours, un centre d’art signé AIRES MATEUS, c’est à “des mots entendus” que j’ai envie de revenir pour évoquer une architecture ; celle de deux frères, Manuel et Francisco Aires Mateus. Pourquoi ? Parce que pour eux, c’est aussi avec des rythmes et des mots que l’architecture s’écrit et que cela s’entend.
Encore une fois, je passe à proximité du CCC OD. Comme j’en ai déjà pris l’habitude, je m’arrête ; la simplicité géométrique du bâtiment m’accroche. Encore une fois, en regardant le bâtiment, j’entends les mots des deux architectes, ou plutôt de Manuel “le causant”. Et je comprends que oui vraiment, ces deux architectes disposent d’un lexique qui leur permet d’écrire l’architecture.
De retour à la maison, j’ouvre le dossier documentaire de l’exposition Aires mateus qui avait eu lieu à Tours en 2015 et je lis : “Minimaliste, élégante, pure et claire, l’architecture d’Aires Mateus s’imprègne des lieux, des valeurs matérielles et immatérielles des sites où elle s’implante. Leurs bâtiments ne se conçoivent pas tant par leur image extérieure que par le vide intérieur, l’espace en négatif défini par les limites de la construction, celui au sein duquel la vie trouvera sa place. Privilégiant les surfaces continues et l’homogénéité de leurs matériaux de recouvrement, leur architecture se développe également autour de volumes sculpturaux et distinctement interprétables, qui lui confèrent un caractère de permanence”… Dans ces quelques lignes tout est écrit.
De cette addition d’architecture et de mots, toute une syntaxe s’organise. En poursuivant mes recherches, j’apprécie les propos d’Elke Mittmann, la directrice de la Maison de l’architecture du Centre, lorsqu’elle écrit : “Il s’agit de présenter une vision plus lexicale des possibilités de leur architecture, en déclinant et en articulant de façon systématique comme une sorte de grammaire de la multitude des rapports possibles entre espace et architecture. On peut l’interpréter comme une grammaire abstraite et évolutive, qui forme la base structurelle et formelle aussi bien qu’immatérielle et conceptuelle du projet architectural. C’est une boîte à outils démontrant les potentialités quasi infinies, illimitées, de leur approche architecturale.”
Et je reviens à ces mots de nos deux architectes qui évoquent la “poésie magnétique” de l’architecture et qui explorent “les espaces en attente”. Des mots qui évoquent la simplicité, la géométrie, l’espace, l’histoire, la mémoire… Des mots qu’on utiliserait aussi en mathématiques et qui comme le rapportait Jean-Jacques Larrochelle dans un article pour le Monde en octobre 2015, retraceraient aussi les volumes intérieurs (si importants aux yeux de nos deux architectectes) qui “soumis à un principe de soustraction, d’excavation, révèlent des formes dont il semble ne subsister que l’empreinte, tels des moules débarrassés de l’objet qu’ils enserrent. (Une façon de développer) une logique du vide qui malmène notre sens commun” et que les architectes définissent par un simple axiome : “L’espace est un vide, une poche d’air, qui doit être contenue pour définir une limite”.
Et je poursuis avec leurs mots mon voyage dans leur architecture. Je sais maintenant qu’un architecte “est plus qu’un écrivain, qu’il est aussi poète” et qu’il “ouvre des volumes sur la ville, le paysage”. Je comprends qu’on “dessine et fabrique un espace, mais pas une composition de matériaux” et qu’enfin, il n’y a pas d’autre chose à faire que de “manipuler la beauté de manière très banale”, pour que “le projet trouve de lui-même sa propre vérité”. Mais ce qui est puissant, et qui retient mon attention, c’est que les frères Mateus réussissent à créer des liens de coexistence entre matières, de lier des paradoxes (puissance et douceur – simplicité et audace – présence et abstraction…), de matérialiser le vide. Leur architecture est simple mais imposante, minimaliste mais riche. Elle sait saisir le contemporain.
Eh oui, pour Manuel et Francisco Aires Mateus : “l’architecture est l’art de la permanence”, mais aussi “l’architecture doit exprimer l’idée”. Alors,ce qu’il faut retenir, c’est que leurs réalisations s’inscrivent dans une réalité culturelle, elle-même réécrite dans chaque projet. Pour eux, mener à bien un projet signifie remplacer une réalité par une autre “meilleure que celle qui l’a précédée”. Ils disent croire “qu’un projet ne réside pas tant dans le «lieu», que dans la «transformation» du lieu”.