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Au fil des temps, la ville renaît différente. Dans la construction de son centre et de ses limites, la ville emprunte des mots migrants. On en retrouve la trace dans son vocabulaire. Alors, plutôt que de s’évertuer à rechercher une origine grecque, latine, saxonne… l’intérêt est plutôt de comprendre pourquoi et comment le mot s’est inscrit dans notre dictionnaire, qu’il a muté dans sa définition jusqu’à parfois être en contrariété avec son sens premier.
La ville est sur le chemin de la civilisation
Dans notre histoire humaine, la ville est bien ancienne, puisque selon la tradition biblique, Caïn construit la première ville dans le pays de Nod, le pays de l’errance, et la baptise du nom de Hénoc qui veut dire le commencement (Genèse 4, 17-24). L’avenir de l’homme passe alors par la ville, lieu de rencontre et de culture, symbole de perfection d’un monde à venir. La ville est déjà délimitée et dispose d’un espace public. Elle apparaît comme un projet politique. Oui mais, pourquoi c’est le mot “ville” qui l’emporte, alors qu’il existe un mot latin la désignant (urbs) et que “ville” vient directement du mot latin “villa”, une exploitation agricole, une ferme, voire un ensemble d’habitations à la campagne. Et bien probablement parce qu’en Gaule, ce sont les villas gallo-romaines, mérovingiennes et carolingiennes qui gagnent en importance et qu’elles sont la genèse de nos cités. À tel point, qu’au Moyen-Âge, un nouveau mot apparaît (cartulaire d’Angers – 1080), celui de village pour désigner un petit groupe d’habitations rurales.
D’un projet politique à la mise au ban
Dans l’antiquité, la cité est l’unité territoriale et politique constituée d’une ville et de sa campagne environnante. La cité représente alors l’ensemble de ses citoyens, le territoire où ils vivent, puis devient au Moyen-Âge (vers 1050) le mot désignant
la partie ancienne de la ville (l’île de la Cité à Paris). Il s’agit alors du cœur de la ville, de ce qui en est son origine. Et puis bien plus tard, en 1823, le terme est repris par les urbanistes pour désigner un groupe d’immeubles formant une agglomération plus ou moins importante généralement en banlieue des villes et destinés au logement des ouvriers ou des étudiants. Un terme qui sera régulièrement utilisé dans les importants programmes de la reconstruction d’après-guerre (la cité de la Muette…) et pour répondre à la pénurie de logements jusque dans les années 1970. Ainsi, depuis 1823, à de rares exceptions (la cité Radieuse…), la cité est mise au ban. De son idée fondatrice, il ne reste rien. La cité est exclue de la ville. La cité n’est plus un projet politique organisé par ses habitants (les citoyens). Elle est encore moins la mémoire de la ville.
Lorsque la ville se renferme sur elle-même, elle se découvre trop petite
Au Moyen-Âge pour se protéger des envahisseurs, la ville se renferme. Et c’est ainsi qu’à la fin du XIème siècle, dans “la chanson de Roland” on lit les mots “borc” et “burc” pour évoquer la nouvelle ville fortifiée. C’est la naissance du mot “bourg”, et bien que les linguistes aient des avis divers sur son origine, il semble plus intéressant de constater sa naissance en raison d’une réalité, d’une nouveauté urbaine. De nombreuses petites villes se créent. Elles sont entourées de remparts. Ce sont des villes fortifiées. C’est sur le territoire français une nouvelle façon de construire la ville. Les vestiges de ces bourgs sont encore bien présents et c’est peut-être la raison qui a fait que le mot est resté d’usage, même si aujourd’hui il sert plutôt à désigner dans notre langage, une localité de taille intermédiaire entre le village et la ville, sans faubourg. Un petit signe encore, on ne parle plus de bourg en parlant de la ville, mais on évoque la “bourgade” (le petit bourg) et le “faubourg”.
Mais qu’en est-il du faubourg ? Le mot apparaît à la fin du XIIème. Il est composé du mot latin foris (en dehors) et de bourg. Au cours du bas Moyen-Âge, la population des villes explose, le bourg devient trop étroit, on construit alors hors des murs le “faubourg”- de “fors borc” signifiant “hors du bourg”- à la périphérie du bourg. Un terme aussi qui devient paradoxal aujourd’hui dans l’organisation de nos villes puisque nos vieux faubourgs ont intégrés pleinement la ville.
La ville est boulimique
Encore une fois, il faut renommer ce qui se construit en périphérie de la ville. C’est la naissance de la banlieue dès la fin du XIIème siècle. La banlieue ne date donc pas d’hier. Elle est dès son origine sous l’autorité du seigneur ou de la municipalité (d’où la racine du mot d’origine franque “ban”, pouvoir d’autorité du seigneur) et s’étend sur une ou plusieurs lieues (unité de mesure) au-delà des murs de la ville. Elle est surtout dès cette époque intégrée à la ville et cette notion demeurera jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Peu de temps après (au début du XIXème siècle), l’organisation territoriale de la France est modifiée d’une façon importante. La ville se redéfinie comme un lieu de culture. L’espace périphérique est alors regardé comme un lieu où la population conserve encore des habitudes provinciales mal appréciées par les citadins de souche. Le mot “banlieue” se charge de connotations dépréciatives. Et cela durera jusqu’à nos jours, jusqu’à ce que les politiques nous habituent à parler de “quartiers sensibles” par simple euphémisme. Mais la ville ne s’arrête pas à la banlieue, elle poursuit sa croissance et s’étend toujours plus. On parle alors d’agglo et de métropole.
Pour être un pôle économique, la ville affirme son indépendance politique
Dans la Grèce antique, la métropole (mêtropolis) est une cité qui contrôle des colonies. Dans la Rome antique c’est la capitale administrative d’une province. Aujourd’hui encore les géographes considèrent une métropole (Barcelone par exemple) sur ces critères antiques et sur le rayonnement international que la ville peut avoir. Mais encore une fois, la France préfère l’exception. Elle se distingue depuis la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (loi MAPTAM de 2014). La métropole est alors une simple forme plus intégrée d’intercommunalité. Par cet abus d’usage, on oubliera bientôt qu’une métropole doit d’abord être puissante aux yeux de ceux qui n’en sont pas les habitants.
L’agglo est une ville en perpétuelle construction
Oublions donc la métropole et passons à l’agglo. Dans notre façon de voir, “l’agglo” est une ville-centre autour de laquelle d’autre villes-périphériques s’ajoutent. À la fin du XIXème lorsqu’il a été pour la première fois utilisé, le mot “agglomération” correspondait à un groupe d’habitation constituant une ville, un bourg ou un village. Depuis, l’agglomération est plus un concept qu’une réalité juridique. Un mot qui reste un slogan de communication pour les villes qui ne sont pas encore des métropoles. Pourtant depuis les années 50, plusieurs lois tentent de définir une agglomération politique, mais cette apparente volonté dans l’idée d’accompagner la ville à grandir masque en réalité une profonde incompréhension de ce qu’est la ville. Depuis les années 80 des définitions s’ajoutent et se confrontent de codes en codes. Mais l’agglo n’arrive pas à s’affranchir. Dommage, on aurait aimé que la notion géographique l’emporte sur les ambitions politiques et les stratégies budgétaires. L’agglo est un projet politique en devenir qui ne devrait pas s’arrêter à la simple gestion de services, à leurs interconnections. L’agglo est vécue quotidiennement par les habitants de la ville. Ils aimeraient qu’on la dote d’un vrai statut qui gommerait les intérêts particuliers des villes qui la compose.
En cinquante ans (entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle), des bourgs et des villes de la banlieue de Paris se sont regroupées pour élargir la ville. Il s’agissait d’un projet essentiellement politique pour que la ville de Paris s’ouvre au modernisme et affirme son rayonnement. Paris a réussi. En développant un statut particulier pour son agglomération, la ville a attiré plus encore. L’agglo est devenue une métropole. Alors, pourquoi ne pas doter l’agglo d’outils politiques performants ?
