Le temps est au passé, au présent, au futur ; il est de saison ou d’époque. Il est élastique et corrige en permanence sa valeur. Nous avons beau dire ou écrire pour plus de précision : de temps en temps, de temps à autre, dans la nuit des temps, juste à temps, avec le temps, en un rien de temps, en temps utile, tuer le temps, le plus clair de son temps, par les temps qui courent, le temps presse, perdre son temps, en temps ordinaire, avoir fait son temps, en même temps, tout le temps… le temps nous précède, nous accompagne et nous suit.
Le paysage lui, est éphémère. Les formes et les motifs se chevauchent, se fragmentent, se délitent, s’effacent… se transforment. C’est du moins ce que nous constatons lorsque nous l’observons. Aussi, ce que nous voyons, ne sont que des instants suspendus qui très vite s’effacent. Le temps appartiendrait-il au paysage que nous regardons ? Au-delà d’un simple concept, le temps deviendrait donc une réalité qui ferait mouvement dans un espace. Il doit bien y avoir de cela, puisque nous sommes nombreux à envisager qu’il faille “penser ensemble le temps et l’espace” selon les termes du géologue et physicien Bernard Guy, et même à considérer, comme les Quechuas, que l’espace et le temps (qu’ils appellent “pacha”) sont indissociables.
Mais aussi, nous le savons bien, le temps est mobile. C’est ainsi qu’il se mélange au mouvement, qu’il entre dans la mesure et participe à la distance. Il est aussi en séquences. En fait, le temps passé a d’abord marqué ce que l’on regarde (la personne, l’animal, le végétal, le minéral, le paysage, l’objet…). Mais le temps présent ajoute une autre marque qui sera autre encore que celles produites lors des instants d’après. Il y a bien là une mobilité du temps qui s’inscrit dans l’espace et c’est le même temps qui apporte le changement. Les deux (l’espace et le temps) fonctionnent ensemble et parfaitement. Pour la scénographe de jardin Camille They, “dans un instant choisi, couleur, matière et lumière se mélangent dans un creuset qui donne à voir l’esprit du lieu et sa relation sensible à ce qui l’entoure”. C’est un plaisir alors de prendre le temps de fixer le paysage et de le faire avec suffisamment d’attention et de permanence pour que ce paysage devienne “des paysages”. Parfois aussi, en entrant dans des lieux qui étaient depuis longtemps refermés, on croit que le temps s’est arrêté. Il n’en est rien.
Pour bien comprendre, il faut laisser passer le silence, et écouter la valeur de chaque instant vécu, de chaque moment passé, du temps qui lentement s’égrène. Surtout pour mieux profiter du temps, il faut être là et attendre que le paysage s’ouvre.