« Lorsque je suis monté à l’étage supérieur de l’immeuble, ce que j’ai surtout remarqué, c’est la vue sur le toit de l’Hôtel de Ville. Là, j’admets qu’il est possible de faire quelque chose de bien. Quand on a un point de vue comme ça, on ne peut pas le rater. Il ne faut pas que ce soit l’unique priorité, mais on ne peut l’oublier, ni l’effacer. Alors, j’ai décidé de le contrarier un peu, parce que cela aurait été trop facile. Il me fallait un accident en ligne d’horizon. C’est pour cela que j’ai mis en limite une plante à port flou. J’aurai pu mettre un buis boule, un cône, mais cela n’aurait pas été heureux, cela aurait été trop sévère. Dans ma composition, le jardin a le sourire ».
Contraintes et handicaps
Le client dans sa priorité, voulait un spa avec une plage. Lors de la première visite sur site, qui n’a pas duré plus de 15 minutes (il faisait un froid de canard), j’ai d’abord vu les défauts à effacer et les contraintes. Il fallait penser à ce que j’allais pouvoir faire, regarder là où j’avais envie de passer. Dans la création d’un jardin, tout compte pour l’équilibre de l’ensemble. Mes deux principaux handicaps, étaient ce couloir technique en béton sur la longueur de la terrasse et la charge admissible au mètre carré. Beaucoup de choses devaient être respectées dans l’agencement. Les anciennes dalles devaient être conservées pour faciliter l’entretien et organiser la circulation et l’évacuation des eaux. Il fallait encore laisser accessible les réseaux techniques, et toujours que soit permis le bon entretien de l’étanchéité de la toiture terrasse de l’immeuble. Il y avait aussi une demande forte de l’Architecte des Bâtiments de France qui exigeait que la terrasse reste discrète et se confonde dans l’allure générale des toitures alentours. Après, il fallait surtout prendre en compte l’accessibilité de tous les matériaux à 28 mètres de hauteur.
En toute discrétion
Les jardinières qui ont été mises en place sont creuses et ne sont remplies de terre qu’à moitié, avec des pots individuels pour pouvoir mieux les manipuler. Tout ce qui est câblage électrique, système d’irrigation passe sous le dallage laissé en place, en toute discrétion. Un boitier alimente toute l’électricité en haute et basse tension, pour les besoins en éclairage, équipements et entretien. Le système d’arrosage en goûte à goûte est organisé en deux voies de circulation : l’une, pour nourrir les bambous (qui demandent d’avantage d’eau que les autres plantes mises en place), et la seconde pour la distribution de l’eau dans toutes les autres jardinières. Les claustras roses ne se voient pas de l’extérieur. Lorsque l’on regarde la terrasse de loin, on ne les distingue pas. On voit d’abord les végétaux. Dans les équipements, les bancs et spas, rien ne dépasse les murets de la terrasse.
Le jardin dans son dessin
J’ai immédiatement dessiné deux projets. Le premier répondait techniquement à la demande, mais il n’était pas abouti. Ça ne me plaisait pas et j’étais sûr que ça ne plairait pas non plus à son épouse. Le deuxième, reprenait les idées de madame, qui voulait de la couleur, et des fleurs. C’est celui qui a été développé pour la réalisation du jardin. Dès mon retour au bureau, j’ai tout de suite fait une esquisse avec une perspective de la terrasse. Quand j’ai retrouvé mon brouillon (après la réalisation), le jardin correspondait à ce que j’ai dessiné en premier jet, sans pourtant n’avoir jamais particulièrement cherché à y revenir. Tout de suite, les courbes étaient dressées. L’esprit du jardin était né.
Le jardin dans son espace
En première lecture, lorsqu’on arrive de l’appartement par l’escalier, on a une vue sur l’ensemble de la terrasse et sur les toits des immeubles voisins. Trois couleurs sont en principal (le vert, le gris, le rose), trois matières sont en soutien (du végétal, du minéral, du PVC). L’équilibre est dans la composition.
Le vert, c’est d’abord le gazon synthétique qui couvre le sol de l’espace détente et qui a été compartimenté et zoné par des dalles et aplats verticaux dans des tons gris ardoise.
Le spa et sa plage solarium sont dans le champ libre visuel. A l’arrière, un espace est confiné avec une vue sur l’Hôtel de Ville. Une petite floraison est en bordure. Elle est arrivée sur le dessin dans les premiers moments. Je la voyais déjà dans son positionnement naturel. Après, j’ai créé des lignes pour avoir de la profondeur et je les ai arrêtées avec des casses et des courbes. Tout en douceur, elles se déclinent en parallèles : les parallèles des murets qui existaient déjà, les parallèles des jardinières, celles des pas japonais, encore des lignes, d’autres parallèles. Toutes ces lignes, ces parallèles, elles sont simplement cassées par une poterie sphérique, par l’architecture du taxus cuspidata, par la présence de plantes à feuillages flous. En finition, le rose inonde le paysage. Il nous fait apprécier le gris en contraste.
Un mélange de naturel et d’artifice
Lorsque je dessine un projet, je travaille sur ce que l’œil va percevoir en premier, ce qu’il va photographier. C’est rapide et immédiat. Avant de penser à la végétalisation du lieu, j’axe la perspective. Je dois donner une priorité au regard. La mécanique est simplement visuelle. Comme dans toute écriture, il faut savoir emmener ses phrases. Un jardin demande un mélange subtil de naturel et d’artifice. Les lignes droites apportent les repères. Une fois que le motif est composé, la plante est là en artifice. En évidence, la couleur du jardin est choisie. Il peut y avoir besoin d’un apport – d’un objet, d’un pot, d’une couleur, d’un végétal – pour que le jardin soit pleinement approprié. Le salon de jardin dans le projet réalisé, c’est l’apport du client, la dernière touche.
En mettant des barrières roses, je ne voulais pas forcément tout cacher, mais attirer l’œil ailleurs. Dans sa forme et sa coloration, j’ai ajouté une mise en architecture. Mécaniquement, le vent continue à passer. Le jardin est dans son mouvement. Il a de la rigueur, il a du flou. Juste une plante suffit pour exhiber le répit. C’est un taxus cuspidata, un arbre à croissance lente, qui tolère la prise au vent, les températures froides et que l’on peut facilement rabattre. Il force un peu l’exotisme paysager. Le jardin est beau du matin au soir. Il n’y a aucun maquillage. S’il n’avait pas été contraint par ses formes géométriques, on ne le trouverait pas aussi harmonieux.
Un jardin présenté par le paysagiste Brice Berthault, lors d’une interview réalisée par la rédaction / photos Brice Berthault